En mai, David Foenkinos a offert un nouveau roman à la récente collection de Jérôme Béglé chez Grasset: Ceci n’est pas un fait divers. C’est en conjuguant une grande sensibilité et un joli tableau de la génération des années 90, tourmentée, dispersée, révoltée par principe et réfractaire au bonheur, que l’écrivain livre une version précieuse et romanesque de l’affaire Florence Rey et Audry Maupin. "Leur histoire: une tentative stupide de braquage qui devient une dérive sanglante,la folie en guet-apens de l’insouciance.[…] Derrière l’image des tueurs, il y avait celle d’une jeunesse prête à tout pour rompre le cou de la société." Une histoire d’amour teintée de rouge. Un rouge dont la fascination tutoie sournoisement l’horreur. David Foenkinos se ballade dans ce drame sans jamais le nommer et ce drame vient lui coller magnifiquement à la plume. Le phrasé de l’auteur embarque le lecteur dans le cœur de ces êtres parfumés de révolte pâlichonne qui ne trouvent aucune énergie de vie hors du combat, s’employant sans cesse à le recréer pour ne pas mourir, mourir dans l’ennui d’un amour à la dérive. Fuir le bonheur simple de peur qu’il ne les contamine. C’est avant tout l’histoire d’une jeune fille. Tout se joue dans un ballet minutieux entre proximité et différence. Elle, jeune étudiante en lettres à la Sorbonne, au sourire imprimé par d’inquiétants nuages. Lui, rebelle au cœur serré par l’angoisse de rentrer dans le moule d’une société qu’il a décidé de détester catégoriquement. Et ce premier amour qui enferme ses jeunes protagonistes dans une dépendance qui fait l’effet d’une avalanche de désillusions, d’erreurs et de manques menant à la barbarie brusque et incontrôlée comme fin inéluctable pour la sauvegarde d’une passion intacte. C’est l’escalade des non-dits au nom d’un mélange de dévotion amoureuse et de fierté qui provoque mesquinement l’horreur. Foenkinos, enfant des nineties Mais cela devient l’Histoire, celle de ce nom placardé en premières pages des journaux : Florence Rey. Le cas passionnel par excellence, l’amour illimité qui mène à la tornade meurtrière. Foenkinos choisit le mode de la sensibilité impeccablement adapté à son parti pris de faire ressentir ce glissement doux et amère de la folie amoureuse à la folie meurtrière. Ce roman réussit donc le pari de ne pas offrir de justification au drame. Derrière les mots, nous reconnaissons tous les faits, les figures et les enjeux d’une génération flottante, en quête de héros et de sueurs froides et accrochée à une énergie désespérée vers des combats déjà flous. Avec des tournures toujours percutantes, l’auteur mène le lecteur vers un dénouement dont l’intensité sera digne des grandes scènes dramatiques de certains films palmés ou oscarisés: la dégringolade depuis la Porte de Pantin jusqu’à la dernière page de cette histoire enterrée sous un lit de cadavres sanglants. Sobriété des mots, images puissantes, le texte esquissant l’ombre de cette femme qui depuis ce soir-là a perdu la parole en même temps que son cœur.
Michel Olivia
Les coeurs autonomes David Foenkinos Ed. Grasset 170 p / 0 € ISBN: 2246694817
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