Il est des romans qui vous creusent au plus profond, et qui vous écarquillent les yeux de force à mesure que vous tournez les pages… Avec Héroïne, Ann Scott fait même plus que ça : elle nous parle en tête à tête, dans la sphère de l’intime. Lorsqu’émerge le tout premier roman, Asphyxie, Ann Scott nous laisse un peu sur notre faim… Malgré d’évidentes bonnes intentions. Mais l’on sent déjà une plume, une griffe, et quand arrive Superstars, le second, tout devient clair : l’ex-musicienne et mannequin est devenue un écrivain, et un grand. La machine est lancée, et Ann Scott est instantanément sacrée auteur culte, romancière star, de ceux dont on guette les apparitions télé et les dernières news sur internet… Superstars, c’est un peu le roman que tout écrivain rêverait d’écrire, du moins dans l’esprit : car on y suit plus qu’une intrigue vraiment originale. On y sent une humeur, une mise à nu. On a beau se raccrocher à l’histoire, palpitante, on ne comprend pas ce qu’on ressent : une familiarité, un déjà vu, un déjà vécu. Plus qu’un « roman générationnel », comme le veut l’expression qui s’est répercutée dans les critiques, Superstars parvient à relier le vraiment trash à la douceur la plus pure. Il réconcilie l'oral et l'écrit sur un même tableau. Projetés dans l’univers de Louise, on oscille constamment entre désillusions amoureuses et profondes aspirations musicales. Presque par procuration, on se plaît à suivre les aventures d’une héroïne bringuebalée entre ses amours féminines et ses tergiversations personnelles… Sur fond d’addictions et de musique techno. Ann Scott, en somme, c’est un peu nous, tout simplement Ce qu’on aimerait crier, elle le hurle, et ce qu’on aurait aimé vivre... elle en est revenue depuis longtemps. En tête à tête Après tant de succès, Héroïne était donc très attendu en cette rentrée littéraire 2005… Certains annonçaient la suite de Superstars, mais les fans se sont très vite retrouvés face à une œuvre réellement originale, singulière, écrite à la seconde personne du singulier. Comme une confrontation, Ann Scott place sa nouvelle protagoniste dans la souffrance : replongée dans son histoire passée avec Iris, notre héroïne se voit très vite reléguée au second plan, exposée à l’indifférence crasse de cette jeune paumée qui la fait tourner en bourrique et qui ne lui concède que des miettes. Notre héroïne souffre en fait d’une addiction qu’on ne connaît tous que trop bien –on en lisait déjà des bribes dans Superstars- dans l’histoire qui liait Louise et la petite Inès. Vécue sous le mode unique de la dépendance, la relation tourne très vite au cauchemar et notre héroïne perd tout bonnement la raison. Comment parvenir à se défaire d’une personne qui nous fait tant de bien, après tant d’échecs sentimentaux ? Comment se dire qu’une histoire qui pourrait durer est jetée aux ordures par cet Autre qu’on a pourtant dans la peau ? Comment accepter l'expression "tourner la page", quand tout nous rappelle l’être perdu ? Autant de clichés qui n’en seront finalement jamais, pour personne. Amoureux, on est sous héroïne ; la moindre manifestation de l’autre représente une forte dose. Après lecture de ce très réussi cinquième roman, on avait tant de choses à dire à l’auteur… Et puis l’occasion se présente, un soir d’automne, dans une librairie du Marais. Ann Scott a accepté de participer à une signature, à l’occasion de la sortie d’Héroïne. On attend ce moment depuis quelques années, même si on ne sait pas trop pourquoi… On se retrouve donc là, tout penaud face à celle qui a écrit une partie de notre propre vie, et on ne sait trop quoi lui dire. On s’approche timidement et on tend l'exemplaire lu et relu de Superstars, qu’on a amené à défaut d’Héroïne. On se sent même un peu con, entouré de toutes ses mains qui tiennent fièrement l’exemplaire du dernier roman à succès. On fait un peu décalé dans l’évidence environnante. Ann Scott elle-même fait la remarque, ah bon il était aussi pourri que ça le dernier ? Les yeux se détournent, et on avoue que Superstars, c’est un peu comme une Bible que l’on relit de façon cyclique… c'est pour ça. On la regarde dans les yeux, on lui sourit, et la conversation se fait fluide, sincère. On n'y croit pas trop, à vrai dire, mais on est bien là, en tête à tête. Face à ce regard si familier. Plus tard, de retour chez soi, on ose enfin ouvrir le bouquin. On parcourt ce message venu de loin, des sphères de l'intime... Et on se dit qu'on a vraiment trouvé notre héroïne.
Julien Canaux
Héroïne Ann Scott Ed. Flammarion 210 p / 15 € ISBN: 2080687077
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