Foenkinos est à l’image des personnages de ses romans, il se joue des codes avec toujours une idée en tête : divertir. Assis chez lui en face d’un café et d’un carambar, une interview conviviale s’annonce… Il a connu le succès avec Le potentiel érotique de ma femme, mais l’angoisse de l’auteur face au succès est bien réelle. Il suffit de le voir arpenter une librairie et d’observer son changement de physionomie lorsqu’il se rend compte que son livre n’est plus sur la table centrale mais dans les rayons. Mais quel est ce roman étrange qui interpelle directement le lecteur ? Qui donc a osé mettre son nom deux fois de suite sur une couverture Gallimard ? On pourrait penser qu’il s’agit d’un x-ième logorrhéique prétentieux mais il s’agit seulement quelqu’un qui s’interroge sur le caractère éphémère du succès avec un ton et une ironie maîtrisés. A travers son personnage angoissé, à la recherche d’une idée de roman qui lui échappe, David Foenkinos nous propose en réalité une véritable ode à la vie, au-delà de la création. Qui se souviendra de David Foenkinos ? Après avoir lu le livre, plus personne ne devrait se poser la question. Comment définissez-vous votre roman ? Une tragédie ? Un polar ? Une comédie de mœurs ? Un Foenkinos ? Je veux avant tout que ce soit divertissant. Pour moi ce n’est pas péjoratif. J’aime faire rire. Pas que rire, mais c’est plutôt une comédie avec un côté polar. Le livre devait s’appeler A la recherche de mon idée perdue. Le narrateur va-t-il retrouver cette idée ? Pour résumer, c’est une comédie semi érotique polar intellectualo-dépressive à tendance suisse. Il y a beaucoup de mon univers dans ce livre. On m’a bien sûr demandé si j’étais mégalo avec ce titre. Il y a un côté Foenkinos, héros d’un roman de Foenkinos. J'ai joué là-dessus, mais c’est aussi un livre que tu peux lire de manière autonome. Quelle est la part de réel et la part de fiction ? Ma tante m’a dit qu’au début elle ne voyait que moi et après elle disait « je ne te vois plus du tout ». Moi, quand j’ai relu le bouquin avant l’impression, je ne m’y suis jamais vu, de la même manière que toutes les femmes mentionnées dans le livre sont des sensations, mais je ne vois aucun visage. Je ne peux jamais dire « elle, c’est elle ». Il n’y a aucune force autobiographique évidente. Quelle est la limite entre l’humour et le tragique ? C’est tellement lié. On peut difficilement faire rire quand tout va bien. Pour moi ce sont les deux versants de la même chose. Dans chaque état dépressif, il y a une situation comique. Dans le roman, l’errance du héros, sa lâcheté, sa façon d’aller en Suisse, le fait de traîner sa vie, on peut choisir d’en rire ou d’en pleurer. Finalement, c’est un peu la même chose, ce en quoi j’admire énormément Desproges car il osait aller très loin avec des choses très fortes qui ne seraient sans doute pas acceptées aujourd’hui. Je pense qu’il y a toujours dans la vie une situation extrême qui permet l’opposé, comme de retrouver la femme aimée dans un cimetière. C’était d’ailleurs le thème de mon premier roman, l’idiotie poussée a l’extrême qui devient un trait de génie. Une situation tragique aboutit toujours à quelque chose de positif. La première version du livre était très noire. Donc j’ai fait un filtre d’humour, j’ai rajouté plus de légèreté. D’une manière étonnante, je me suis rendu compte que le héros pleurait souvent. Je me suis dit que si je le faisais pleurer toutes les dix pages, ce serait trop lourd. En fait, pour répondre simplement, plus j’avance dans le comique, plus je suis dépressif, donc c’est lié ! Y avait-il une réelle angoisse liée à la décision d’écrire ce livre ? L’idée de départ, c’était une autobiographie du futur. Après l’accueil du Potentiel érotique de ma femme, j’ai pris conscience de la fragilité du succès. J’ai eu ensuite beaucoup de mal à écrire En cas de bonheur. L’angoisse était réelle. D’où l’idée d’imaginer le pire, un futur catastrophique. Je me suis posé la question : Et si demain je n’avais plus d’imagination ? Qu’est ce que je fais ? L’imagination reste un outil totalement impalpable donc fuyant et pouvant disparaître sans raisons. On est en CDD au niveau de l’imagination. Est-ce que vous ressentez un sentiment de jalousie vis-à-vis du succès de autres, comme le narrateur ? Oui, il devient totalement aigri. Il ne supporte pas que les autres aient des idées, ça le rend fou. Ce n’est pas du tout un versant autobiographique. J’ai plutôt tendance à soutenir les textes que j’aime. J’adore aider des plus jeunes que moi à publier. J’ai par exemple beaucoup soutenu Charly Delwart. J’ai la conviction que ce que tu donnes n’est jamais quelque chose de forcé. C’est une vraie philosophie pour moi. La guitare et les romans c’est pour draguer les filles? Draguer c’est trop réducteur. C’est comme dans L’homme qui aimait les femmes. Il est obsédé par les femmes, mais il hait les dragueurs. Cependant, aucune création n’a d’autre but que de faire rentrer une fille dans sa chambre. Ce qui compte c’est le sensuel, une nécessité de séduction ! Evidemment, pour moi c’est un grand moteur, c’est lié. C’est de l’expérience sensuelle que naissent les livres et les livres permettent une expérience sensuelle. La création est un outil de séduction évident. Et la création comique est un degré supérieur de cette névrose. Mais je ne suis pas dans la boulimie de séduction. Je suis intéressé par l’instant, le détail. Aimer un détail à l’infini est le sujet du Potentiel érotique de ma femme. Le narrateur est collectionneur d’un « moment » de sa femme. J’ai une obsession de la séduction qui n’est pas éparpillée. Donc, la femme est muse et but de séduction ? Tout ce qui est lié au sensuel est la source d’inspiration. Mais la femme n’est pas la seule source possible, il y a aussi l’art. Sans rapport sensuel aux choses, je vois mal comment tu peux créer. L’écrivain recherche une alliée féminine entre la maîtresse et la bonne, une femme qui te tire vers les hauts et qui te tienne. C’est un peu un cliché, mais j’aime bien les clichés. Jusqu’où irez-vous pour une idée ? La création c’est ma vie et ma névrose principale. Je ne sais pas ce que je ferais sans cet outil là. Je crois qu’il n’est pas possible de créer sans cette fragilité de la perte. J’écris tous les jours, c’est épuisant nerveusement, et pourtant, ce n’est jamais au détriment de la vie. C’est toujours moins important que ce que je peux vivre. Je ne perdrai pas mon monde en perdant ma création. La création et la femme sont deux choses liées dans le livre. C’est une idée de vie. Y a t’il un « devoir de mémoire » de la part de l’écrivain ? Il s’agit d’un livre sur la mémoire mais l’expression est trop forte. En tout cas, on peut dire que c’est un livre empreint de l’idée de nostalgie. Le héros vit tout du point de vue de sa future vieillesse. Il a l’impression que tout ce qu’il vit se transforme en matière à mémoire. Je dirais qu’il y a ici une nécessité de mémoire plutôt qu’un devoir de mémoire, qui est une expression connotée. Comment vous situez-vous sur la scène littéraire française? Moi j’écris des livres de fiction, comiques. Je me situe très loin de l’autofiction en vogue. Quand Le potentiel érotique de ma femme est sorti, il était bien mentionné dessus, « roman non autobiographique ». Ici, le héros est David Foenkinos, un écrivain en perte d’inspiration, ça a tout l’air du roman égotique français et pourtant je pense être à l’opposé de ma réalité. Je m’inspire plutôt de la tradition américaine du double comme Philippe Roth et Bret Easton Ellis. On m’a souvent assimilé à des écrivains comme ça, plus dans la fantaisie, le délire et l’humour, ce que l’on trouve finalement peu en France. Mes livres sont traduits dans tous les pays de l’Est et ce n’est pas un hasard. On trouve dans ces pays une véritables culture du grotesque. Mais je ne cherche pas à faire des catégories, je ne pense pas que ce soit très pertinent. On ne peut pas définir une littérature par pays. Ce qui m’intéresse le plus c’est l’écriture, sous toutes les formes qu’elle puisse exister. Maintenant que l’on se souvient de vous, que va-t-il se passer ? Qui s’en souvient vraiment ? La première signature que j’ai faite pour Qui se souvient de David Foenkinos, ils ont oublié mes livres ! J’ai eu peur de me planter avec un tel titre. La particularité de ce livre, c'est que mon grand père s’appelait David. Il est mort deux jours après l’impression du livre et il lui était dédié. Parfois, on est dépassé par sa propre création. Au-delà du souvenir de l’auteur, c’était aussi une transmission, même si le livre ne parle pas du tout de lui. Je me souviens de lui à travers ce texte. Je n’ai pas d’ambition de postérité, ni celle d’être un génie. Au-delà des livres que j’écris, ce qui est important, c’est la postérité amoureuse. En somme, quelle est la part de réalité et de fiction dans le livre ? Quelques exemples, car plein de gens ont pris le livre au premier degré : Le bide, la nana venue me voir dédicacer à la Fnac en disant qu’elle était là uniquement parce qu’elle avait oublié ses clefs, était réel. Par contre, je ne parle pas danois, mais j’avais rencontré une fille qui apprenait le danois par amour et l’idée de la chaîne du danois m’avait séduite. L’adaptation cinématographique est réelle mais je n’ai jamais eu de problèmes avec Isabelle Carré, c’est du pur délire. Quel est le but d’un tel ouvrage ? J’ai eu peur d’un roman qui disait l’avenir donc je me suis fait une fin heureuse. Je suis un optimiste romanesque. Mais finalement, le but ultime, c’est de rencontrer une femme suisse aux cheveux lisses qui parle allemand ! Propos recueillis par Maixent Puglisi
Zone Littéraire correspondant
David Foenkinos Ed. 0 p / 0 € ISBN:
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|