Le prix du désir
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Pour son cinquième roman écrit en français, Brina Svit a choisi d’unir le rêve et la raison, le désir et le deuil, la folie d’un voyage au bout du monde et l’exploration d’une souffrance intime. Afin de taire certains démons, une femme essaie de se convaincre qu’une nuit de rêve à Reykjavik lui permettrait de faire l’impasse sur une froide réalité… Mais à quel prix ?
Lisbeth est une femme active, une femme allurée, une workaholic qui maîtrise le monde du haut de ses talons hauts ; et le rouge sur ses lèvres n’est qu’une façade, un compromis avec les hommes. Fière et assurée, on la devine inaccessible, elle ne se laisserait approcher que par choix… Et lorsqu’elle choisit de payer Edouardo Ros, un jeune professeur de danse argentin, pour la suivre en Islande, dans un ailleurs qui symbolise l’inconnu, elle pense là encore prendre une décision. Payer pour une nuit particulière, un moment choisi, vivre un rêve contrôlé ; essayer de maîtriser le cours du temps, ou plutôt le fil de sa propre vie…
En s’envolant pour cette île qu’elle conçoit étrange et solitaire, Lisbeth se sait en danger, quelque part ; elle a le sentiment que la chambre d’hôtel qui l’attend là-bas, dans la capitale de l’inconnu, sera remplie de souvenirs plutôt que de désir. L’herbe n’est jamais plus verte ailleurs, dit-on ? Elle y serait d’ailleurs plutôt brûlée… En invitant ce jeune homme qu’elle ne connaît pas, dans ce contexte mystérieux, Lisbeth pense aussi échapper à ce cliché des femmes qui prennent de l’âge, et qui se paient les faveurs de jeunes hommes fougueux, à la peau douce et aux mots rassurants. En effet, ses choix ne sont pas arrêtés : se réservera-t-elle ou franchira-t-elle le pas ? Le sexe est-il réellement son moteur ? Mais surtout, pourquoi lui ? Peut-être pour emmener un être qui lui semble exotique dans un autre monde, tout aussi exotique…
Désirs et illusions
Dans ce roman mélancolique, il n’est pas question d’amour ; mais de désir, à la fois frôlé et inassouvi, recherché et rejeté, le tout dans un contexte favorisé où l’argent permettrait une forme d’aboutissement. Un désir brûlant qui permettrait de s’éloigner de ses peurs, et de se dépasser aussi, dans une énergie du désespoir… Tout, dans l’attitude de Lisbeth, confine à une volonté d’échappée belle : mais on en revient toujours à soi, à son miroir, et dans cette chambre d’hôtel silencieuse où Edouardo est un objet à contempler, la tension sexuelle n’est là que pour occulter la souffrance ultime d’un être perdu. Jusqu’à la fin, Lisbeth s’obstine, elle se retient, elle s’annule, elle s’éteint, se renferme en elle-même… Jusqu’à l’exorcisme final de la douleur, où les mots se libèrent, où le voyage prend tout son sens. En partant loin de tout, Lisbeth est allée au bout d’elle-même.
La dualité du corps et de l’esprit, tout comme leur harmonie, ne serait pas qu’un mythe à appréhender ; mais bien une réalité qu’il serait impossible de nier. Dans un contexte tarifé, quelle est la meilleure réponse à apporter à une demande de sensualité ? Quand le corps s’exprime au grand jour, face à un être inconnu, c’est toujours un peu l’âme qu’on finit par écouter…
Une nuit à Reykjavik
Brina Svit
Éd. Gallimard
167 p. – 16,50 €