L'éditeur et auteur Christophe Bataille revient avec un roman captivant, une sorte de bombe à retardement dont le détonateur serait localisé au 61 rue des Saint-Pères. Ce roman aurait pu figurer dans cette récente collection lancée par la maison Grasset : Ceci n’est pas un fait divers. Car il s’agit bien d’un roman qui se déroule dans ce Quartier général du bruit. Nous avons affaire ici au choc entre la réalité et la fiction et aux étincelles que cela provoque. C’est l’histoire de la maison Grasset, l’histoire d’un homme, d’une rue, d’une époque, de la fin d’un règne et de l’immortalité d’une âme ; enfin, c’est l’histoire des pages, des mots et des hommes pour qui tout cela a des airs de religion. Cette histoire, qui aurait pu être celle d’une saga aux formes traditionnelles et au contenu riche en anecdotes, est au contraire un puzzle méticuleusement désordonné fait de mots gymnastes, de mots loufoques et savants qui constituent la signature de Christophe Bataille. Or - et c’est bien là sa façon toute personnelle de tutoyer le génie – le livre se transforme en récit cataclysmique. Un homme dontl’activité principale, entêtante, obsédante, est de « mâcher du papier » ne pouvait pas nous livrer un roman ordinaire sur l’historique de la maison mère de l’ édition. La plume anarchique Janvier 1934. Un homme nommé Kobald, la trentaine environ, rend visite à son maître Bernard Grasset à Meudon avec une seule idée en tête : Le Roi est-il mort ? Cet homme relate, dans un style qui convole vers l’ anarchie, cette histoire hors du commun de l’homme Bernard Grasset et de ce monde clos et atypique regroupé en une poignée de rues célèbres : celui de l’édition. Dans ce monde-là , on lit des heures, des nuits entières, on veille, on mâche du papier, on bouffe des mots et on caresse des auteurs. On vend aussi, on crée des prix, on signe des grands noms, des noms maudits. On est fous, dingues, tordus assurément, mais fous amoureux des mots que l’on gobe goulûment. Quartier général du bruit est un métalivre, un livre qui raconte son propre monde avec une telle fougue que même les mots semblent en être magnifiquement bousculés, violentés. Le rythme détonne, la chronologie a perdu son sens de l’orientation et le lecteur est emporté dans un tourbillon littéraire dont il ressort une définition si juste de la littérature : un mariage des feux de la rampe et de la solitude des mots, qui n’est pas toujours très reposant. La plume de Bataille est excentrique à souhaits et avec ce roman il nous livre un bel hommage aux mots et à ce papier que le narrateur –osons l’appeler son double - dévore passionnément.
Michel Olivia
Quartier général du bruit Christophe Bataille Ed. Grasset 120 p / 11 € ISBN:
Articles les plus récents :
Articles les plus anciens :
|