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12

Fév

2010

Les dessous du livre : Emilie Frèche
Écrit par Maïa Gabily   
Emilie Frèche a lancé le 7 janvier dernier avec son associée Laure Gomez-Montoya les éditions Moteur. De jolis livres au format original, un catalogue prometteur - David Foenkinos, Yasmina Khadra, Serge Joncour, entre autres - et un concept qui détonne : publier des histoires avec l’idée qu’elles deviendront un jour des films. Dans le même temps, elle publie son septième roman, Chouquette, récit autour d’une grand-mère en crise, refusant de vieillir. Zone a eu envie d’en savoir plus.

Racontez-nous un peu l’histoire de ces éditions du Moteur…
La vie d’un écrivain est un peu triste en fait ! Moi je restais jusqu’à 17 h en pyjama devant mon ordinateur sans voir personne et à un moment donné, cette solitude m’a pesée. J’ai eu envie de vivre une expérience d’entreprise, travailler en collaboration avec des gens. Je devais faire quelque chose avec ce que je connaissais, d’où l’idée de la maison d’édition. Je suis assez fan du format court, de la nouvelle qui, à mon sens, ne supporte pas la médiocrité. Or aucune maison n’est spécialisée en nouvelles. c’est un genre souvent sous-estimé, toujours perdu dans les collections de littérature générale. J’ai donc eu vite envie de créer une collection d’histoires courtes en sortant de cette difficile logique de nouvelles - on a banni le mot d’ailleurs ! -, en ne publiant qu’une seule histoire par livre, un livre objet. Dans le même temps, on constitue une banque d’histoires pour le cinéma.
J’en ai parlé à une amie qui a été tout de suite partante. Pendant un an, on s’est vu dans des cafés une fois par semaine, montant notre projet petit à petit: on a fini par trouver un diffuseur, Interforum et on a signé des auteurs... et pas des moindres ! Nous allons essayer de publier dix titres par an. Notre grande originalité, je pense, est d’être à la fois une maison d’édition avec un vrai système de distribution et en même temps une maison de production, en développant conjointement un catalogue de livres et de films.

Justement le cinéma, vous en êtes où ?
Nous sommes très contents car Nous avons vendu les droits de Bernard, le livre de David Foenkinos à Mars distribution. Pour l’instant sont sortis ce livre ainsi que La Photographe de Christophe Ferré - pour lequel nous sommes déjà en négociation - et le 4 mars prochain viendra le tour des livres de Yasmina Khadra, Mercedes de Ambrosis et Salim Bachi, qu’on enverra bientôt aux producteurs.

Parlez-moi plus de ce très beau livre qu'est La photographe
C’est une très jolie histoire d’édition. Je l’avais lu en 2002, c’est un texte autour du 11 septembre. Je dis toujours que c’est le Titanic, ce livre. Il a été écrit l’hiver qui a suivi les attentats et j’en ai été la première lectrice : j’ai été bouleversée par ce texte. A l’époque, j’écrivais mon deuxième livre et l’auteur était publié au Seuil. Je lui ai dit que j’étais sûre que sa maison allait l’éditer mais à ma grande surprise, ce ne fut pas le cas: le Seuil ne voulait pas publier si tôt après cet événement tragique. Ce fut une énorme déception pour lui. Il est alors parti chez Flammarion où Beigbeder était alors éditeur mais ce dernier lui expliqua que ça allait être un peu compliqué puisqu’il s’apprêtait à publier lui-même Windows on the world ! Le texte est donc finalement resté dans un tiroir. Quand j’ai monté Moteur, par un pur hasard j’ai revu Christophe et je lui ai posé la question de ce que Les Amants du 11 septembre – comme il s’appelait à l’origine – était devenu. Il m’a dit l’avoir toujours. Je l’ai donc relu et j’en étais aussi bouleversée que huit ans auparavant.

Qu'est-ce qui vous touche autant dans ce livre ?
Ce que j’aime particulièrement, à part son côté lyrique, sensuel, érotique, c’est le fait que Christophe Ferré a su recréer le choc de l’instant. Il n'écrit pas un mot à propos du 11 Septembre, de terrorisme, d’islamisme… J’imagine que les gens l’ont vécu comme ça sur l’instant, on est d’abord choqué, on ne réfléchit pas. C’est d’ailleurs pour cela que son écriture est répétitive: On n’en revient pas de ce qui se déroule sous ses yeux, on n’en revient jamais. Il n’y a pas de place pour l’analyse.
Je trouve très fort le fait que cette femme, qui se sert de son appareil photo comme d’une longue vue pour retrouver son amant dans les tours, passe sans s’en rendre compte du statut de photographe artistique à reporter de guerre, en quelques secondes. Enfin, la manière dont Ferré traite New York comme une ville à apprendre, un port, une ville de châteaux, est exceptionelle. Il en a une vision médiévale, qui m’évoque les contes de Perrault. Quand il parle de l’amant en haut de sa tour, je vois la princesse dans son donjon en flamme qu’il faut sauver. Je trouve que ce serait
vraiment un film magnifique.

Avez-vous été chercher vous même les auteurs ou bien recevez-vous des manuscrits ?
Aujourd'hui, oui, nous en recevons. Mais, à vrai dire, j'ai conçu cette maison d’édition comme une maison de vacances où j’invite les auteurs. Je ne me considère pas comme une éditrice, je n’ai pas ce talent, je n’ai pas la prétention d’aller dénicher des textes. Maintenant, si je reçois un jour un manuscrit qui me plaît,  j’en ferai
bien sûr quelque chose. Mais demander des histoires à des auteurs déjà reconnus, c’est leur demander de faire quelque chose qu’ils maîtrisent déjà. Je retravaille évidemment avec eux mais je ne suis pas dans un rapport d’éditeur / auteur. Je suis dans l’invitation.

De quelle façon aimeriez-vous qu’un lecteur aborde vos textes ?Nous voudrions rendre la littérature aussi populaire que le cinéma. Nos livres coûtent le prix d’une place de cinéma, ils peuvent se lire dans le même temps, on les a classé en six genres : polar, comédie, comédie romantique, drame psychologique, engagé et historique. L’idée, c’est d’offrir de vraies plumes mais avec de véritables histoires : on est dans le divertissement. En alliant prix, format, et qualité littéraire, nous souhaitons aller vers une population plus jeune, qui a moins le temps, qui ne choisirait pas sur un livre de 300 pages, mais qui serait plus séduite par un de 40 pages. Bref, rendre le livre plus accessible.

Parlant d’histoire, vous venez vous-même de publier un roman, Chouquette, chez Actes Sud. Avec le lancement de Moteur, ça fait beaucoup…
En réalité, ça fait trois ans que je travaille sur ce roman. De plus, aux débuts de Moteur, on ne se voyait qu’une fois par semaine. Je n’ai donc pas l’impression d’avoir tout en même temps. Le roman était là avant Moteur, j’y travaillais régulièrement en m’enfermant de nouveau. Tout le monde me dit que ça fait beaucoup. Mais en fait, mon dernier roman date de 2006. C’est donc plus une coïncidence : et puis ce n’est pas si fatiguant. Se raconter, faire de la promotion, c’est plutôt agréable.

A travers ce personnage de Chouquette, cette femme qui refuse de vieillir, cette grand-mère qui refuse d’en endosser son rôle, vous mettez surtout en perspective la question de la transmission…
Pour moi, la vraie élégance, c’est de dire chose des choses graves avec légèreté. Sous couvert d’être un roman léger, Chouquette aborde le sujet qui nous obsède tous, le rapport à la mort, et au temps qui passe. Sous un abord absolument pathétique – porter des strings violets, des talons compensés et se refaire la gueule tous les six mois – avec Chouquette, on a un personnage de femme qui a fait 68 et tout ce que cela symbolise, qui me touche profondément. C’est leur dernière révolution à cette génération de femmes : celle de dire « la vieillesse ne passera pas moi ». C’est une révolution positive : elles travaillent encore, elle ont un réseau social, elles sont séduisantes, dynamiques, elles sont dans la vie. La question, c’est de trouver sa place.

C’est-à-dire ?
Je suis frappée dans notre société par la façon dont les générations se sont emmêlées, comme des colliers au fond d’un sac. Beaucoup de femmes sont avec des hommes plus jeunes, beaucoup d’hommes quittent leurs femmes pour des femmes plus jeunes, refont des enfants. Mais ça veut dire quoi refaire sa vie ? Une vie, ce n’est pas un brouillon. Or,
c’est plus dur pour les femmes car qu’est-ce qui ramène à la vie, à part la vie ? C’est-à-dire l’enfance,  la procréation. Et lorsqu'on ne peuy plus donner la vie, la ménopause, c’est une petite mort. Les femmes sont du coup condamnées à avoir une personnalité plus fortes que les hommes car elles n’ont plus qu’elles sur qui compter. J’avais envie de parler de tout ça avec légèreté. A travers cette femme, j’évoque ce scandale d'une violence inouie qu’est la vieillesse.
Ce livre est d’ailleurs aussi un texte sur le déni. A mes yeux, ce qui permet d’accepter tout ça, c’est l’homme avec qui tu vis. Si tu es aimée, tu es belle. Or Chouquette est restée amoureuse d’un connard. A mon avis, elle devient touchante quand son petit-fils la prend dans ses bras et qu’elle pleure, car c’est son premier contact physique avec un être depuis quatre ans. Pour moi, les femmes ont vraiment besoin du regard et de l’amour des hommes. Finalement, qu’est-ce qui la réveille, lui rend sa dignité ? C’est l’amour de son petit-fils. Chouquette est d’abord et avant tout un livre sur l’amour.

Propos recueillis par Maïa Gabily.

Vieillesse ennemie
Mamie ? Et puis quoi encore ? Ce sera Chouquette, comme du temps de sa pas si lointaine jeunesse. A 60 ans, Catherine refuse d’être la grand-mère idéale dont sa fille rêve pour son petit Lucas. Narcissique et désoeuvrée, elle voit son séjour strass et paillettes à Saint-Tropez ruiné par la survenue inopinée de Lucas. Débutant comme une comédie légère, Chouquette se révèle le fin récit d’un monde et d’êtres en crise, interrogeant avec humour la transmission filiale. Et on se surprend à aimer son insupportable héroïne, résolument plus Tatie Danielle que Mamie Nova.

Emilie Frèche
Chouquette
Actes Sud - 16 euros.










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