Nombre d’écrivains, de cinéastes hollywoodiens et de fous ont corrompu nos esprits avec une vision manichéenne de l’avenir où le bien y affronte l’antiaméricanisme avant le mal. LA RESISTANCE DU FUTUR Alasdair Gray présente un futur tout autre. D'accord, nos descendants créent des sociétés barbares vivant dans une sphère intergalactique où les valeurs féodales sont les seules dignes de vertu. D'accord, ils adulent une technologie surpuissante au service d'un système politique régressif. D'accord, le présent américain se veut encore comme un futur universel, comme pour montrer que l’histoire se répète indubitablement. Mais Gray le Grand imagine une société viable, enfin, (re)plaçant les femmes au centre. Véritables maîtressses de clan, elles règnent sur leurs familles et se (re)trouvent à l’origine de tout. Enfin la véritable renaissance de l’Antiquité... Ce futur en apparence très féminin se déroule dans les Highlands. C’est l’Ecosse aux vallées gorgées d’eau et de légendes - on est cependant loin des batailles à coup de kilts et de cornemuses, loin des invariables invasions anglaises... Les guerres prennent désormais des allures de matchs de rugby où l’honneur et le dandysme sont les maîtres mots de gentlemen guerriers. On est au XXIII ème siècle, sur les terres du clan d’Ettrick. Les femmes tiennent l’Ensemble pendant que les hommes se rivalisent. Batailles organisées et règlementées par les conventions de Genève. Combats pour l’honneur, la gloire et le territoire : l’éternel triptyque, même dans le futur. Le XX ème siècle était barbare ; on s’y battait pour des idées, la politique... un désastre diplomatique. Aujourd’hui, c’est devant les caméras et pour les lives TV que les clans s’étripent. La notion d’Etat n’existe plus. La TV a raison de tout... La caméra mouvante, omniprésente, toujours calée sur play est "l’œil public"... Télé-réalité au service de tous : "l’œil public" est la raison commune. La vérité ne se coupe plus au montage. Endemol vivra encore encore dans 200 ans... Gray, écrivain écossais est fidèle au style poétique anglo-saxon. Un James Joyce spécial futur ? Forcément spécial, forcément génial... Il raconte une semaine de la vie de Wat Dryhope, héritier d’Ettrick, antihéros du XXIII ème siècle, star du champ de bataille à la recherche de réponses. Comme un sauveur de l'Humanité, il traque nos identités défuntes, et fait preuve de grande compassion pour ceux qui ne sauraient pas encore qu'ils assistent à la déliquescence de la société... Wat Dryhope serait-il Alasdair Gray ? Wat Dryhope, feru d’histoire, souffre pour nous a posteriori. Nous, les usagers du XXI ème siècle. "- Voulez-vous Qu’on fasse une apparition au balcon colonel Dryhope ? - Comme la clique qui se tenait derrière Hitler au-dessus de la Potsdamstrasse ? ou qui donnait à Staline l’air moins seul devant le Kremlin ? Il y a une heure vous avez fait givrer cette fenêtre pour éviter les yeux publics. Je savais que le pouvoir corrompait mais je ne savais pas qu’il corrompait aussi vite !" Gray critique à travers ses personnages par une finesse savamment distillée - normal, pour un Ecossais. Mais que vaudrait le futur s’il n’analysait pas le passé ? Benjamin Brunette Traduit de l'anglais par Céline Schwaller.
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Le faiseur d’histoires Alasdair Gray Ed. Métailié 204 p / 18 € ISBN: 2864244624
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