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"Le double est une autre forme de fuite".
Vos autres livres sont d'un registre et d'une tonalit� diff�rents. Pourquoi
ce tournant ?
" Un cocktail de frustration, de col�re, et de paternalisme de Michel
Houellebecq. Celui-ci avait bien aim� l'Amour dure trois ans, et m'a dit un jour de d�passer ma nombrilisation maladive : " tu es en situation " ! D�crire, t�moigner. Il faut croire qu'il est un bon
commercial puisque c'est le premier livre qui marche ! Michel a pourtant frein� involontairement cette �volution car je craignais au d�part qu'un ouvrage de ce genre ne pr�sente une filiation trop �vidente.
Vous vous r�clamez �galement d'un m�lange subtil entre Ellis et Kundera�
Ce livre est document� et offre simultan�ment un regard particulier sur le
monde. La nouvelle g�n�ration d'�crivains post-naturaliste se meut entre fiction et pamphlet, frisant reportage et essai en faisant passer un message fort. Le roman moderne est un fourre-tout : journal intime, r�cit
qui peut se transformer en invention, " un mensonge qui dit la v�rit� " � la Cocteau.
Comment r�sumeriez-vous ce t�moignage engag� ?
Une r�flexion sur la domination �conomique, sur l'argent comme fin et non comme moyen, un cercle sans fin qui s'auto r�alise. Les m�dias engendrent une v�ritable scl�rose qui rend difficile une r�volution. La pub
n'est pas inoffensive et v�hicule des images dangereuses, et une exclusion souvent raciste qui ne refl�te pas la r�alit� multiculturelle du monde occidental.
On vous a reproch� d'avoir " grossi le trait " et d�crit un univers valable en 1970�
J'ai souhait� marquer les esprits via la satyre mais je ne me suis pas
vraiment �loign� de la r�alit� ; sexe, drogue, voyage et fric sont des donn�es r�elles. L'�pisode du " On a le sida ! " s'est vraiment pass�,
j'ai repris cette anecdote qui prouve que seul le fric compte, que ce m�tier est d'une d�bilit� hilarante et qu'on ne se pose pas les vraies questions �
Vous avez parfois la critique facile, se transformant en clich�,
concernant par exemple la d�shumanisation d'Internet, la commercialisation des f�tes etc. Etait-ce indispensable ?
J'ai simplement rassembl� des faits r�els qui montrent l'emprise
dramatique des marques sur notre vie. Le roman doit fait rire et montrer qu'on a une vie de con.
Jusqu'o� peut-on aller dans l'assimilation Octave � Fr�d�ric ?
Le r�cit est bien une autobiographie (encore ce nombril !) mais exag�r�e. Je ne prends pas de coke avant le caf� ! Je suis un esp�ce de r�volutionnaire en retard ou en avance, qui vit la d�cadence de son
si�cle. Nous sommes ridicules. La fiction me permet de vivre mieux cette vie si monotone (un peu moins depuis la promo du livre !) qu'elle en devient tragique.
Mais votre livre est aussi une trag�die : existe-t-il une issue pour les personnages ?
Non. Les 5 personnages vivent une fuite en avant dont l'issue est le
suicide ou l'enfermement. Aujourd'hui il n'existe pas beaucoup d'autres solutions que mort ou r�clusion ; le refus du monde � la Rimbaud n'est plus possible, on n'est tranquille nulle part ! Ghost Island est un
pseudo-paradis accessible, o� l'ont finit par s'ennuyer sans ces divertissements pascaliens qui d�livrent de la peur de la mort. L'�le est une image v�hicul�e par la pub, et ce livre d�nonce l'utopie et la
b�atitude. Le bonheur donne la gueule de bois .
La femme et le couple non plus ne sont pas la solution� Dans votre roman il est impossible de trouver une femme qui ne soit
pas une prostitu�e et le couple id�al est un couple � 3 !
J'ai honte ! Elle repr�sente surtout le monde, � commencer par moi qui suis la premi�re pute de ce livre. Ce livre traite en fait de la prostitution.
L'amour ne peut �tre une raison d'esp�rer, le couple ne dure que 3 ans (!) et aurait d� �tre r�invent�, l'amour � plusieurs peut �tre. Je rejoins Houellebecq dans ce sens : le monde est h�donisme et s�duction, et la
fid�lit� � vie�
Et ce passage sur les maisons closes : " le faux est un moment du vrai " traduit votre pens�e ?
Le m�tier de publicitaire rend dingue car on veut s�duire tout le temps,
et cela finit par d�teindre sur la vie priv�e. Octave en devient impuissant et incapable d'aimer, pessimiste, peureux, pr�f�rant ne plus s�duire (mentir) et aller voir les prostitu�es.
Que signifie le th�me du double, pr�sent dans la fuite imaginaire d'Octave, dans la pirogue � la Gauguin, dans les toilettes de chez Danone ou encore dans les apparitions du SDF ?
Le double est une autre forme de fuite. Elle permet d'�viter la culpabilit�. Chacun porte une forme de culpabilit� qui reste au final impunie. Le crime paie toujours d'une certaine mani�re : Charlie s'enfuit en mourant
et Octave finit en prison dans une contemplation quasi religieuse. Il s'agit aussi du pouvoir de choisir une autre vie plus int�ressante. Parall�lement le double d�nonce le clone et l'uniformisation des modes de vie.
Ecrire ce livre, n'est-ce pas pr�cis�ment �tre ce que vous d�noncez ? Servir aux gens un discours qu'ils attendent, pr�t � la consommation�
J'ai �crit afin d'exprimer quelque chose de profond en moi. Si ma
chance a �t� de coller � l'actualit� du d�sir des gens, tant mieux, mais je ne l'ai pas recherch�. La sortie du livre a mis en exergue une haine collective. Ses r�percussions m�diatiques sont la preuve qu'on peut
utiliser les armes de la pub contre elle, et m�me que sans elle la critique ne peut aboutir. Ce livre est un produit et anti-produit, un vers dans le fruit qui pourrit le fruit dont il se nourrit.
D�nonciation de la sc�ne m�diatique� dont vous �tes encore un acteur de taille.
On n'�chappe jamais enti�rement � l'emprisonnement.
Comment envisagez-vous votre avenir en tant qu'�crivain ?
J'ai suffisamment cr�� d'impasses � travers la critique, il est peut �tre temps de chercher des issues gr�ce � l'�criture. Mais je pense pour l'instant � un petit recueil de nouvelles. J'aime bien leurs dimensions,
adapt�es � nos modes de vies effr�n�s � et en plus je suis paresseux. " propos recueillis par Jess L. Nelson |
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