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Entretien avec Jean-Paul Enthoven
Votre titre ?
Aurore. L'esp�rance matinale et cette affinit� avec l'horreur, ou avec
l'erreur, r�sumaient tr�s bien mon livre. J'ai �t� ravi de d�couvrir que mon inconscient allait plus vite que moi en fabriquant ce mot. Ce livre est le premier livre sorti en France en 2001, premier du XXIe si�cle, et il s'appelle
Aurore.
L'aurore, c'est aussi la lumi�re qui pr�c�de le lev� du soleil : il y a comme une promesse de commencement. Ce titre contient ainsi l'illusion, les germes de la douleur, puisque vous d�tes qu'en
amour, c'est le pass� qui donne des ordres...
La grande affaire bizarre de l'amour, c'est que d'embl�e �a parle de l'avenir, de l'esp�rance d'un avenir partag�, et que pourtant ce sont des
ordres provenant du pass� qui sont � l'�uvre dans les m�canismes de l'amour. En g�n�ral, la litt�rature d�crit les effets de l'amour, elle parle du pr�sent, de son �blouissement. Or il y a une pr�histoire de l'amour : on
aime de telle fa�on parce qu'on est fait de telle fa�on. Mais qui vous a sculpt� de telle fa�on, sinon les douleurs, le pass�, la m�lancolie ?
Comment se d�livrer de ce pass� ?
Il y a une phrase de Breton que j'aime beaucoup. (Ce n'est pas Breton que j'aime beaucoup, mais cette phrase). " L'amour, c'est quand on rencontre quelqu'un qui vous donne de vos nouvelles ". Il y a des grandes
exp�riences � travers lesquelles on apprend � savoir qui on est : la guerre, le militantisme politique, la psychanalyse... Et je crois que l'amour est la derni�re grande exp�rience la�que qui permette de
d�couvrir qui l'on est. La tradition romantique laisse supposer que l'amour, c'est tout � coup la d�couverte d'un autre. Et pourtant, je pense que l'autre est secondaire dans l'amour ; c'est � la rencontre de soi que l'on va.
Cela fait d'Aurore un personnage secondaire...
C'est ce que les femmes me reprochent... Je pense que dans une relation amoureuse compl�te, on passe son temps � s'obs�der de
l'autre, lors m�me que l'on s'obs�de de soi. Il y a un effet de miroir. Le miroir t�moigne du face � face avec soi-m�me et aussi du visage de l'autre.
Pour se d�faire de la passion, il faut ainsi fouiller le pass�. La
d�marche du narrateur est emprunte d'une m�lancolie qui participe, comme disait Freud, du travail de deuil...
C'est exactement �a : la m�lancolie, ce n'est pas du tout la d�finition de
Victor Hugo, " le bonheur d'�tre triste ". Etre m�lancolique, c'est accepter la part de mort en soi. Dans quel �tat sort-on d'une histoire d'amour, sinon dans cet �tat-l� ?
Quel est le lien entre cette m�lancolie et l'acte d'�crire ?
Vous savez, je pense que pour �crire des livres, il faut savoir � quel disparu on s'adresse. On �crit toujours pour faire revivre un disparu, je le
pense profond�ment. Tous les livres qui me touchent sont des livres �crits par quelqu'un qui veut faire revivre un disparu...
On peut donc dire qu'Aurore est une histoire de deuil ?
Oui, c'est une histoire de deuil. Mais ce qui m'int�ressait, c'�tait, au d�part, de prendre le mythe d'Orph�e : il va chercher sa bien aim�e aux Enfers, et apr�s l'avoir retrouv�e, il l'y abandonne. C'est une histoire
bizarre. En sortant des Enfers, Apollon lui donne une lyre et il invente la musique. Je voulais faire la variante moderne de ce mythe : il la rencontre devant La Porte de l'Enfer au mus�e Rodin, il descend, il
descend, il descend jusqu'aux Enfers, car qu'est-ce que c'est l'enfer, si ce n'est le bordel de Saint Cloud ?
Faire une variante moderne de ce mythe, mais s'agit-il vraiment d'un roman moderne ?
Je pense que la passion d'�tre radicalement moderne est p�rilleuse : �a donne un bon coup de vieux le lendemain matin. Prenez par exemple Ellis : qu'est-ce qu'on pigera dans dix ans ? Je pr�f�re la cat�gorie
nietzsch�enne de l'intempestif. Est intempestif ce qui n'est pas de ce temps, qui n'est pas non plus contre ce temps, qui peut �tre un peu d'hier et un peu de demain. C'est le temps des moralistes fran�ais.
Chaque instrument a un son propre. Il faut se brancher sur la fr�quence de ce son-l�. Ca s'appelle la probit�. Si mon livre peut toucher quelqu'un, c'est parce que je suis fid�le � l'instrument que je suis.
Il y a une phrase de Picasso : " la lumi�re d'un tableau vient toujours d'un autre tableau ". C'est vrai pour la litt�rature : la lumi�re d'un livre
vient toujours d'un autre livre. Alors quels sont les livres sous la lumi�re desquels je me place ? Ce sont toujours des livres ronds comme des galets, pr�cis, sans effervescences stylistiques. Classique dans la forme
et v�n�neux dans leur contenu. Je pr�f�re �a aux livres d�jant�s dans la forme et petit-bourgeois dans le contenu.
Le roman d'amour est un genre canonique, et c'est le genre canonique le
plus fr�quent�, le plus r�pertori�. En art, j'aime la contrainte. Si je faisais des vers, je ferais des alexandrins. Les choses belles naissent des contraintes surmont�es.
lire la critique Zone de Aurore
Propos recueillis par Florian Zeller
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