Interview de Claire Castillon

"Ecrire pour soi. Pourquoi publier ?"

Je crois qu'on peut le faire � b�tons rompus, alors allons-y : je ne sais rien de toi si ce n'est que tu as 24 ans, d'o� une premi�re question assez solennelle : Qui es-tu Claire Castillon ? Qu'est-ce qui t'a men� � l'�criture ?

Pendant mes �tudes de lettres j'ai fait des petits boulots, je n'aimais ni la fac ni les �tudes. J'�tais en examens terminaux et parall�lement je faisais plein de petits stages qui m'ennuyaient tous tr�s profond�ment. Ce dont j'avais envie, c'�tait d'�crire.

J'ai arr�t� les �tudes et je me suis consacr� � l'�criture. J'ai �crit des morceaux de livres pour des auteurs qui m'ont permis de gagner ma vie et j'�crivais Le Grenier.


Tu as donc joint l'utile � l'agr�able ?

Oui m�me si pour moi l'agr�able n'est absolument pas d'�crire pour les autres.


Tu n'�cris pas pour les autres, alors tu �cris pour toi : est-ce que le Grenier est un livre psychanalytique ?

Il �tait pas fait pour �a. Mais vu ce qu'il y a dedans j'acquiesce. C'�tait un coup de tripes donc si je parle de tripes je peux pas dire autre chose.


Alors pourquoi publier, pourquoi pas faire un journal intime ?

Parce que j'avais envie de raconter une histoire avec cette id�e du grenier qui est originale. J'ai envie de faire des livres et de faire lire mes livres.


Le Grenier c'est l'histoire de quoi ?

D'une jeune fille qui n'a pas de paroi int�rieure et qui essaye de s'en faire une et de devenir solide. Ses parois mouvantes l'encombrent. Elle essaye de se cimenter pour parvenir � tenir debout. C'est pourquoi elle se met � ingurgiter des objets qui repr�sentent telle ou telle personne, tel ou tel mal, tel ou tel plaisir.


Cimenter ? Ton livre est-il celui d'une prise de contr�le sur soi-m�me ou bien au contraire l'histoire d'une descente aux enfers ?

C'est les deux. C'est un grand cri. Y a une esp�ce de douceur. Et puis il y a cet enfant qui s'installe. Alors cet enfant est-il l� ou pas ? est-ce une m�taphore ? Pour moi �a en est un : celle de la jeune fille qui arrive � accoucher de toutes ses noirceurs.


L'enfant permet de combler la solitude et de garder Simon�

Oui, elle se remplit de mort, l'enfance pass�e, des gens qu'elle aime pas et � la fin elle y met quelque chose qui vit, qui bat.


C'est une femme ou une petite fille qui �crit ce livre ?

Celle qui �crit c'est les deux. Celle qui parle est une petite femme qui se cogne � tous les obstacles pour devenir une grande. Elle  ne se transforme pas naturellement, elle a l'impression qu'il faut agir, se battre,  pour se transformer.


C'est un livre de la condition f�minine ?

Non, l'inverse. C'est pas Chiennes de gardes. J'ai horreur de �a et j'ai un sens critique tr�s d�velopp� � leur �gard, donc � mon �gard aussi. Elles sont pestes, jalouses. Y a des clich�s de femmes que j'ai dans la t�te, qui me gonflent autant qu'ils me font rire.

J'aime bien les claquer un peu. A certaines d'entre elles les claques font du bien.

Simon, la narratrice l'emmerdera jusqu'au bout, m�me si il �tait parfait elle l'emmerderait et �a c'est typiquement f�minin.


Est-ce que la souffrance, masochiste ?

Soit elle d�truit, soit elle est tr�s productive. Plein de choses en sortent : du plaisir, du masochisme, de l'envie�

Mon h�ro�ne a un corps qui n'existe pas et qui la fait souffrir.


Ce corps, c'est un d�potoir ou un m�diateur affectif ?

C'est une petite bo�te � tr�sor et en m�me temps des toilettes. Elle donne son corps mais aussi sa t�te, sa m�moire. Elle essaye de pomper le grenier des autres : celui d'un peintre, d'un clochard, d'un homme qui est peut-�tre amoureux�


Qu'est-ce que tu penses de ton livre ?

Ca fait longtemps que je l'ai pas relu. Mais au d�but je le trouvais bien. J'avais envie de poignarder le lecteur et de pas le l�cher jusqu'au bout comme dans les champs de fleurs de Yann Moix. Je suis pas arriv� � son niveau. Mais je crois �tre sur la voie.

Ce qui me g�ne c'est d'�tre catalogu�e dans la presse comme provoc ou litt�rature scabreuse�


Est-ce qu'il y a d'autres auteurs qui t'ont influenc�, plu ?

Y a la D�mangaison de Lorette Nob�court. Il y a Paul Morrand pour le style et la d�licatesse, Romain Garry, des livres comme Belle de jour


Tu comptes continuer � �crire, tu as quelque chose en chantier ?

Oui, un livre sur la jalousie. J'aime �crire sur les petites choses. Pas les grands sujets.


La jalousie, c'est pas un sujet immense? Est-ce que Proust l'aurait pas d�j� trait� ?

Si, je sais pas, �a m'est �gal. J'aime bien partir sur un coup d'�il.

J'�cris parce que j'aime le moment d'�criture. J'aime pas les sorties. J'aime pas les rencontres. J'aime que l'Homme et moi. Ca me fait cr�er.


Tu penses pas au lecteur quand tu �cris ?

Non jamais. Je pense � mon premier lecteur, l'Homme. Je pense pas toujours � la publication. Je suis dans ma bulle.


Alors pourquoi publier, pourquoi ton prochain texte serait pas un journal intime ?

Parce que je veux faire des livres pour vivre. Je ne veux faire que �a.


C'est alimentaire alors ?

Non � Mais� C'est vrai, j'avais jamais pens� � �a� peut-�tre que si j'en avais pas besoin je ne publierais pas. Le contact avec les journalistes j'en ai rien � faire, je trouve �a grotesque�Ca m'est jamais arriv� d'�crire sans imaginer l'envoyer, j'y penserai.

Tu as raison, je cherche pas � toucher le lecteur, que les gens que j'aime� J'ai rien � dire aux gens� C'est vrai, pourquoi publier ?�
 

propos recueillis par Antoine Bu�no.

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