| | In�dit de Jean Cocteau
| | Jean Cocteau
| Prix éditeur 0.00 francs 0 pages © , 2001 |
En mars 1988, lors d'une brocante, consultant un catalogue de films de 1954, je suis tomb� sur cette pr�face sign�e de sa main et relatant ses premiers �mois cin�philes. Intrigu� par ce texte, j�avais alors interrog� par �crit Jean Marais qui en ignorait lui-m�me l�existence et fut ravi de le d�couvrir. Barka
L�orage, c��tait la certitude de vivre � plat ventre avec Jules Verne, d�entendre le quatuor � cordes organis� par mon grand-p�re, et de profiter de ce quatuor pour visiter en cachette l��tonnante salle de bains o� la baignoire de cuivre faisait un bruit de gong. Mon grand-p�re y rangeait ses chaussures car l�appareil de chauffage �tait explosif.
Le soir, on nous montait la lanterne magique. On y voyait, sur un drap fant�me, les fant�mes aux couleurs violentes des rois et des reines, les ombres multicolores des contes de f�es.
Les lumi�res �teintes, le drap, le cercle projet� par la lanterne d�apparence un peu chinoise, la famille silencieuse, tout composait une mani�re de c�r�monial.
C�est � cette campagne d�enfance que je songeais, pendant l�occupation, aux s�ances clandestines de cin�matographe. Henri Filipacchi nous y conviait par des coups de t�l�phone myst�rieux. On montait son escalier comme on devait descendre aux catacombes. On se retrouvait, on se serrait, on se r�confortait, assis coude � coude sur des chaises et sur des banquettes. Filipacchi officiait. Il d�roulait l��cran, ouvrait des placards, en sortait des machines consid�rables et pr�cieuses, les v�rifiait, les huilait, les caressait, d�roulait et enroulait les bandes de 16 mm, r�glait le synchronisme des films et du pick-up.
Quel prix prenaient dans notre complicit� les premiers Chaplin, � Temp�te sur l�Asie �, � La fin de Saint-P�tersbourg � et cet Harry Langdon dont le comique ruina les producteurs parce que New-York le trouvait lugubre. Nous y appr�mes l�admirable dr�lerie fun�bre de cet artiste. Et sous cet angle �trange, tandis que les hommes de la Wehrmacht tiraient sur le toit de l�immeuble, nous nous aper��mes que Charlot annon�ait toutes les catastrophes et s�apparentait � Kafka.
Dans la p�nombre presque sainte flambaient la barbe rouge de Christian B�rard, les m�ches p�les de Micheline Presle et de Jean Marais, des visages c�l�bres et attentifs o� ne se lisait que l�enfance. De tels souvenirs sont inoubliables. On ne jugeait pas. On aimait. On savourait ce dont la libert� nous sature et que ces inoubliables s�ances nous distribuaient au compte-gouttes.
J�ai l�honneur d�avoir � Le sang d�un po�te � au catalogue des classiques �dit�s en 16 mm. Lorsque je l�imaginai, il y a vingt quatre ans, j��tais loin de me douter qu�il figurerait dans un tel catalogue et passerait quinze ann�es de suite dans une petite salle de New-York.
Le cin�ma � domicile permet aux films disparus de plaider leur cause en appel. Et ils la gagnent. On peut y voir et revoir une �uvre. Elle �chappe � la r�gle terrible qui oblige un film � une r�ussite imm�diate, au lieu d�attendre son heure, comme les autres �uvres d�art. Ne nous dispersons pas, groupons-nous. Jugeons ensemble, et remercions une entreprise qui �te � la famille le go�t n�faste de se d�sunir.
Jean Cocteau
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