| | 53 cm : un livre qui bouge et se tortille
| | 53 cm Bessora Le serpent � plumes
| Prix éditeur 4.42 francs 184 pages © Le serpent � plumes , 2001 |
extrait de De l�universalit� dans le r�gne colonial
Nous sommes � Lambar�n�, au Gabon, dans les ann�es trente. Tu as trois ans. Tu portes des guenilles. De tes anc�tres, tu tiens des ailes qu�ils ont d�ploy�es depuis le Haut Nil jusqu�aux rives de l�Ogoou�. Tu vois des colons blancs. Tu les admires encore, tu les m�prises d�j�. Tu les vois parader dans de belles voitures. Tu regardes tes guenilles, tu te dis que tu pr�f�res les belles coitures. Tu parles fang. Tu parles fran�ais. Longtemps, tu crois que tes anc�tres sont gaulois. Mais un jour, tu comprendras qu�� l��cole, on t�a dit n�importe quoi.
A quatre ans, tu pars chez les missionnaires. On te destine � l�exercice de l�administration coloniale, ou � la pr�trise. On pense que, pour mener les indig�nes r�calcitrants � Dieu et � la civilisation, leurs fr�res seront plus convaincants : ils chantent mieux les cantiques. Un soir, avant de te mettre au lit, le p�re Georges fait son devoir de chr�tien d�acculturation r�publicaine :
- Les Noirs sont les �gaux des Hommes. En v�rit� en v�rit� Th�odore je te le dis : si noir que tu sois, tu es l��gal de l�Homme. Car, comme ceux de l�Homme, tes anc�tres sont gaulois.
- Mon p�re, pourquoi le travail sans argent ? Papa dit que�
- Il ne faut pas donner d�argent aux N�gres : ils le boiraient.
- Pourquoi le recrutement forc� au Moyen-Congo ? Papa dit que beaucoup sont morts�
- Ils sont morts pour les chemins de fer de la France, mon fils !
- Qu�en ferions-nous ?
- J�sus est notre sauveur, mon fils, je suis s�r que tu t�en rends compte.
Le p�re Georges pr�sente un bijou sacr� � ta bouche ; tu le baises respectueusement. Il caresse ton front en souriant, il quitte la chambre.
En 1946, tu as douze ans. On d�couvre que tu n�as aucune ca�t ni aucun act�. Alors on dresse ton act� de naissance. C�est une audience publique o� si�gent un pr�sident, administrateur des colonies de son �tat, et deux assesseurs titulaires indig�nes asserment�s. Tu comparais et exposes que tu es n� il y a douze ans, mais que ta naissance n�a pas �t� inscrite sur les registres de l��tat civil indig�ne. Tu parles fran�ais, mais l�interpr�te du tribunal traduit quand m�me : tu as oubli� de fournir ta fausse ca�t de cr�olit� : � moi y en a par�l� beaucoup bon f�an�ais mon commandant �. Faustin, le chef du village, trente-cinq ans, vient t�moigner. Nkane, Asperge sauvage, ton p�re, a quarante-six ans, mais on lui pr�te trente-cinq ans environ. Le tribunal admet finalement, par jugement suppl�tif, que la preuve est apport�e par toi : toi, Th�odore, fils chr�tien de Nkane l�Asperge sauvage et d�Oye, Celle qui �touffe � force de manger trop de banane plantain, tu es bien n�. On consent � dresse l�act�. Tout le monde est content.
Asperge sauvage, notable �volu�, est encore plus content : comme les femmes � la m�tropole, on lui a fait, en 1945, cadeau du droit de vote ; lui aussi, il va pouvoir jouer au jeu de la d�mocratie. Mais jusqu�en 1946, la France, lib�r�e du joug allemand, n�accorde le droit de vote qu�aux notables gabonnais : un Noir sur cinquante en �ge de voter exerce ce privil�ge.
Jusqu�en 1956, les voix des colons comptent double. Cette ann�e-l�, on d�couvre beaucoup, mais vraiment beaucoup, de p�trole au large de Port-Gentil. Fran�ois Mitterrand est ministre de l�Outre-Mer.
copyright Grasset, 2001. Bessora
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