| | Bordel n�1
Six filles et dix-huit gar�ons pour une grande et m�chante orgie orchestr�e par un chic type aux initiales douteuses (St�phane Million) : l\'id�e avait de quoi s�duire les plus frustr�s. Dans les bureaux de Flammarion, tout le monde tripote ses m�ches rebelles en essayant de trouver un titre � ce spectacle d�go�tant. On optera finalement pour \"Bordel\" puisqu\'ici comme ailleurs, on peine, parfois, � �viter la putasserie. Pourtant, au-del� de ce titre faussement provocateur (et, par cons�quent, tr�s bourgeois), se cache l\'acharnement d\'un banlieusard plus maso que sado.
Jeune homme de Seine-et-Marne (il para�t que �a se trouve tr�s facilement sur une carte), St�phane Million a d\'abord commenc� par le commencement. Nouveau r�ac avant l\'heure, il �tudie Drieu La Rochelle et se passionne plus g�n�ralement pour la litt�rature des ann�es 30. M�me si la prose de Brasillach a un peu vieilli, Million m�ne, pour reprendre un titre de Vincent Ravalec (tous les nouveaux r�acs sont en �ecs), la vie moderne. St�phane vit sa vingtaine en se la coulant douce dans un de ces petits villages, Touquin, que l\'on trouve en fin de ligne de RER (voire apr�s). Il vit dans cette d�sormais fameuse \"France silencieuse\", mais St�phane s\'en moque. Il cultive son humilit�, voil� tout, et pr�f�re l\'assurance de la terre � l\'ambition de la ville. Il �crit, chaque jour une demi-heure, son journal (pas si) intime, qu\'il publie au jour le jour sur son site Internet - et qui devient, par ailleurs, de mieux en mieux. Bref, un profil auquel le milieu litt�raire n\'est pas habitu� ; des qualit�s si rares qu\'on les remarque. Oui, ce mec est vraiment sympa et quelques figure de l\'ex-g�n�ration montante (Yann Moix ou Fr�d�ric Beigbeder) lui portent attention. S\'ensuivront des correspondances pouss�es et le jeune homme � id�es aura les contacts n�cessaires quand il montera sa revue.
\"Il n\'y aura pas de crit�res � l\'entr�e. Tous les textes sont les bienvenus et je suis tr�s impressionn� par le nombre de textes que je re�ois par Internet. Si quelque chose doit passer dans Bordel, c\'est qu\'il m\'aura plu, tout simplement, et je ne maudis pas la subjectivit� de la s�lection. Bordel n\'a pas de vues critiques : j\'ai la chance d\'avoir la libert� de suivre mon instinct\". S\'il devait avoir une once de Rastignacquerie, Million pourrait d\'ores et d�j� se satisfaire d\'avoir impos� son projet non seulement aupr�s d\'un �diteur, mais aussi � ces plumes qui n\'ont pas rechign� � se faire des lignes (d\'encre, une fois n\'est pas coutume) pour figurer gracieusement dans ce brouhaha litt�raire. Puisqu\'il faut citer des noms, on remarquera la pr�sence de quelques florentins (ayant, de pr�s ou de loin, des accointances avec le prix de Flore) comme Philippe Jaenada (laur�at en 1997), Nicolas Rey (laur�at en 2000), Fr�d�ric Beigbeder (manitou du jury), des institutionnalis�s � l\'instar de Beno�t Duteurtre (prix de la Nouvelle de l�Acad�mie Fran�aise) ou Yann Moix (prix Goncourt du premier roman en 1996). Et le plateau, vendu comme \"la fine fleur d\'une nouvelle g�n�ration d\'�crivains\", comprend �galement, dixit St�phane Million, les \"bien-coiff�s\" (Nicolas d\'Estienne d\'Orves, Charles P�pin ou Florian Zeller), une invit�e (Catherine Millet en interview avec Beigbeder), et, pour conclure, quelques anonymes s\'offrant le luxe d\'une premi�re parution (Val�rie Zerguine, Juliette Cada�s, Alexandra Julhiet ou B�n�dicte Martin). Certaines �critures sont � la hauteur de ce qu\'elles sont d\'habitude (mention sp�ciale � Fr�d�ric Grolleau que nous avions d�j� remarqu� pour son roman historique Monnaie de Verre, paru aux �ditions Nicolas Philippe), tandis que d\'autres, malheureusement, peinent � trouver leur place (que doit-on penser du texte de Moix, peu importe le fond, vitup�rant � l\'emporte-pi�ce St�phane Zagdanski? est-ce un r�glement de compte � propos d\'un buste vol� de Claude Fran�ois* ?).
N�anmoins, l\'alternance des formes (m�me si la plupart des textes sont des nouvelles) et la multiplicit� des auteurs donne un bon amuse-gueule de ce qu\'on peut �crire aujourd\'hui. \"La nouvelle g�n�ration est n�e en 1982, autant dire que la nouvelle g�n�ration n\'a jamais connu la revue NRV, le Palace, Amanda Lear, les �ditions Gallimard, R�gine, la piscine Deligny, Arnaud Viviant\" (extrait de Marc n\'ira pas, Nicolas Rey, Bordel n�1). L\'accueil de la revue n\'a pas suscit� l\'enthousiasme g�n�ral - si ce n\'est le soir de son lancement au Hustler Club � Paris. La critique hype, quant � elle, a approuv� l\'id�e tout en �mettant quelques r�serves sur le fond. Mais sinc�rement, � part Bordel, quel projet collectif litt�raire, aujourd\'hui, parle � cette \"nouvelle g�n�ration\" �voqu�e ci-dessus ? Qui parle � ceux qui, dans vingt ans, �prouveront la m�lancolie des portables GMS, des textos et autres palms ? Faisons la part belle au jeunisme : Bordel est jeune, Bordel est bien. Certes, Bordel sera mieux encore quand les choix �ditoriaux se seront affin�s, qu\'on y lira une perspective critique plus affirm�e, mais jouissons d�s maintenant du dawar tel qu\'il se pr�sente ; pas de doute, le peu d\'ordre manquant viendra avec le temps.
Bordel pour longtemps !
Bordel n�1, collectif,
200 pages, 15 �, Ed. Flammarion
N.B. : une version on-line et tr�s chiad�e de Bordel, plus importante que la version papier, est en acc�s libre sur www.revuebordel.com (voir ci-dessous). Le quatri�me num�ro de Bordel sur Internet sera disponible d�s septembre.
*Podium (�d. Grasset), est le dernier ouvrage paru de Yann Moix. L\'auteur y retrace l\'�pop�e d\'un sosie de Claude Fran�ois.
Ariel Kenig
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