| | La parole ou l\'image : faut-il choisir ?
On peut faire toutes sortes de trouvailles dans les couloirs du m�tro. D�sormais, depuis quelques temps, les romans s\'y affichent. La m�diatisation ne concerne plus seulement l\'auteur, mais son �uvre. Chose logique, car c\'est l\'�uvre qui compte avant tout. Cependant, il est cocasse de rencontrer la couverture d\'un livre en poster g�ant sur le quai d\'une station, alors qu\'on s\'attend plut�t � une annonce de voyage ou une r�clame pour des v�tements. D\'autant plus que les romans en question rel�vent souvent de la quantit� plut�t que de la qualit� de vente. Un livre a-t-il besoin d\'une image ?
D�j�, la m�diatisation outranci�re de certains auteurs approche la d�raison lucrative et entra�ne une perte probable de cr�dibilit� intellectuelle : il faut savoir, �tre auteur n\'est pas �tre acteur. L\'originalit� de chaque individu n\'est pas � remettre en cause ici, �videmment, mais une certaine injustice r�de. Pourquoi untel et pas un autre ? La question semble na�ve mais demeure fondamentale pour l\'histoire de� Oui, osons le mot, de la litt�rature. Les ficelles sont tenues pas la critique et les �diteurs, cela n\'a jamais �t� un secret. H�las, il fut une �poque o� les critiques avaient un peu plus de bon sens. Et tout �a commence � sentir s�rieusement le roussi. Car pour trouver quelque chose de valable, il faut avoir l\'�il et l\'esprit critique assez exerc�s, ou bien fl�ner sur les chemins de traverse, l� o� le temps vaut plus que l\'argent. Retenons deux titres, similaires dans leur g�n�rosit� narrative et leur int�grit� litt�raire : La nuit d\'amour des autres, de Guyette Lyr (Actes Sud, Collection G�n�rations), et 25, rue Soliman Pacha de G�rald Messadi� (JC Latt�s). Si la premi�re pr�sente d\'�videntes qualit�s m�ritoires, force est de constater que son roman n\'est pas sp�cialement mis en avant ni r�ellement suivi par les libraires (en le cherchant � Paris, chez le bien connu Gibert Joseph, on se rend compte qu\'il n\'est d�j� plus en rayon). Paru en f�vrier 2001, son temps de vie semble vraiment ridicule au vu de certains ouvrages pass�s en format poche et dont la couverture se retrouve placard�e dans les couloirs du m�tro, comme un objet de consommation, car tout la probl�matique s\'inscrit l�. Un livre s\'ach�te, certes, mais dans un certain respect de l\'art. L\'art litt�raire, et l\'art de la vente. Quant � G�rald Messadi�, agitateur notoire, il p�tit de son franc-parler en �tant ignor� par la majorit� de la presse. N�anmoins, ses livres trouvent un accueil chaleureux en Allemagne, ou au Canada. Et � lire Matthias et le Diable (Robert Laffont, 1990), on se rend compte de l\'erreur : lisons-nous vraiment ce qui m�rite d\'�tre lu ?
A priori, tout est lisible, cela va sans dire, et l\'id�e de \" m�rite \" est plus que subjective. Pourtant, quand on s\'aper�oit de la vacuit� romanesque habitant la moiti� des publications contemporaines (car le vide prend plus de place que le plein, il faut le voir - le lire - pour le croire), une peur l�gitime nous saisit au cerveau. Mais la peur laisse place � l\'humour quand on imagine les commentaires de ces chers universitaires analysant notre p�riode �ditoriale, oui, rappelez-vous, \" Le passage obscur \", l\'entr�e rat�e dans le second mill�naire, quand les prix litt�raires ne valaient plus rien, quand l\'esprit ne gonflait plus le verbe, quand l\'imagination s\'�tait presque tarie, quand il suffisait de vomir sur la page sa propre existence sans art et sans mani�re, quand le style a failli dispara�tre, oui, dispara�tre ! Bref, vous imaginez, en 2199, le petit sourire en coin de tous ces penseurs, professeurs de lettres faisant davantage de la sociologie que de la stylistique par la force de la b�tise humaine. Car o� se trouve la cr�ation artistique ? Aurait-on oubli� que la litt�rature est un art avant d\'�tre un faire-valoir ?
On peut faire toutes sortes de trouvailles sur Internet. En t�moigne l\'�tude sur \" La condition actuelle des �crivains fran�ais \" r�dig�e par Alexandre Goyeau pour l\'Institut d\'Etudes Politiques de Toulouse, m�moire en acc�s libre sur http://www.ifrance.com/goyeau/.
A 21 ans, cet �tudiant (plus scientifique que litt�raire, mais sinc�re amateur de romans) a �crit un rapport aussi pertinent qu\'emprunt d\'humilit� : n\'ayant aucun lien avec qui que ce soit dans le milieu �ditorial, il a pu enqu�ter en toute libert� de conscience et, osons le mot, en toute honn�tet�. L\'excellente qualit� de son travail s\'en ressent, d\'autant plus qu\'une telle investigation rel�ve de la raret� � notre �poque. Les rouages cach�s de la machine �ditoriale font dispara�tre leur existence derri�re l\'�cran des m�dias, et l\'avantage de ce travail universitaire est d\'en faire entendre le lointain �cho vivant, celui des auteurs. Car ce m�moire s\'est nourri du t�moignage d\'une petite trentaine d\'�crivains qui ont accept� de r�pondre � un questionnaire balayant des aspects vari�s de leur condition : la critique litt�raire, le CNL, les r�sidences d\'�crivain, les comit�s de lecture des maisons d\'�ditions� Le seul regret qu\'on puisse �mettre n\'est pas � l\'encontre de l\'�tudiant enqu�teur, mais des �crivains qui n\'ont pas r�pondu au questionnaire. Prendre position semble de plus en plus difficile de nos jours, surtout dans l\'�re du \" quelque part \", expression typiquement utopique relevant du n�ant le plus spirituel, h�las. Sur une centaine d\'envois, un tiers seulement a daign� s\'exprimer. Et c\'est l� que ce m�moire prend paradoxalement de l\'importance, vu le nombre restreint de participants : il est l\'envers d\'une litt�rature qui prend de moins en moins la parole, ou qui parle pour ne rien dire (la mati�re du roman devient une v�ritable question), quand ce n\'est pas la mani�re qui fait d�faut (ce \" style \" pr�cit�, mais l\'art rejoint de plus en plus rarement la mani�re). Une litt�rature dont on ne retient que l\'image, pauvre et appauvrissant le lectorat. Une image sans parole, presque des histoires sans paroles. Sans mots. Sans densit�. Des \" loft stories \".
Le plan, trinitaire, commence avec la s�lection des �crivains, poursuit avec leur publication, et finit avec leur �ventuel succ�s. A travers ce d�roulement logique, apparaissent des questions pr�cises et fondamentales concernant par exemple les ateliers d\'�criture : ainsi, peut-on apprendre � �crire ? Le statut de l\'�crivain, en regard des statues m�diatiques, est �galement mis en question, tout comme le sujet �pineux des prix litt�raires.
La vertu de cet ouvrage est de conserver un ton qui reste � l\'�cart, une objectivit� o� la v�rit� rejoint la r�alit� de la situation �ditoriale contemporaine, une v�rit� qui n\'est plus ailleurs, dans un quelque part flou et peu artistique, mais sur Internet, contre toute attente. Richard Dalla Rosa
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