| | La Maman et la putain
23 mai 2003,
Paris,
S�quence 1
Int�rieur jour.
Alexandre � Gilberte :
- Je te parle de r�ve et d�j� tu me r�ponds par � cauchemar �.
Car la vie n�est qu�un songe, Alexandre.
Enceinte de lui, Gilberte vient de d�cider de le quitter pour se marier avec son avorteur. Elle d�cide d�abandonner ce dandy dilettante, compagnon de la prude Marie, qui observe les passants depuis les terrasses du Saint-Germain-des-Pr�s de l�apr�s-68, qui s�est fait bousculer par un monde press� dans sa course vers on ne sait o�, qui bient�t rencontrera V�ronika l�infirmi�re, lib�r�e dans sa parole comme elle l�est au lit. Alexandre, m�lancolique qui grimace devant la glace pour accentuer sa douleur, qui ne veut pas devenir un autre alors que toutes ces femmes gravitant autour de lui seraient pr�tes � le changer, lui ; mais elles n�y arriveront pas, elles ; parce qu�il souffre, lui : � Le jour o� je ne souffrirai plus, c�est que je serai devenu un autre. Et je n�ai pas envie de devenir un autre � r�pond-il � la proustienne Gilberte. Romantique malheureux qui trouve dans la souffrance l�acm� de l�existence, entre Marie et V�ronika. Entre la maman et la putain. Personnage de bobines � l�image d�un r�alisateur de film : Jean Eustache, mort huit ans apr�s l�exhibition de ce � triple � sur les �crans, final trip d�un couple � trois.
Et pourtant. Dans cet appartement du 10�me arrondissement de Paris, le 23 mai 2003, Alexandre, Marie, V�ronika prennent corps dans la parole de Mehdi Belhaj Kacem, de Magaly Godemaine, d�Audrey Vernon (com�dienne ex-prisonni�re d�une cha�ne crypt�e, nouvelle infirmi�re lib�r�e). Dans cet appartement d�bute la lecture du sc�nario de La Maman et la putain, � l�intiative de Laurence R�mila et d�Emmanuel Caron (journalistes-�crivains).
Lecture, la vie en verbes
Prendre corps, hic et nunc, plus de moteur, pas d�action, mais la lecture sur les lieux-m�mes de tournage du long m�trage, en respect de la parole d�Eustache pour qui son �uvre tourn�e dans d�autres lieux aurait �t� un autre film. Suivant Alexandre dans son errance entre ses femmes, c�est le texte qui entre en actes � quatre lieux diff�rents du 10�me arrondissement (deux appartements, un bout de trottoir devant l�h�pital, une galerie d�art qui jouxte le caf� Valmy). Les passants nous regardent� regardent des gens qui regardent trois personnes qui regardent un livre. Car telle peut �tre la vision� Mais l�int�r�t y est. Et � si les films apprennent � vivre � selon Alexandre, la lecture permet de comprendre. Si le film utilise l�image comme � anti-accommodement � du sc�nario, la lecture donne toute sa force � la qualit� litt�raire des dialogues et � la r�flexion inh�rente aux r�pliques. Car La Maman et la Putain est maternellement un texte o� la po�sie dans l�expression des personnages surprend encore aujourd�hui. Marie vouvoie Alexandre. V�ronika vouvoie Alexandre. Marie et V�ronika se tutoient� et la maman semble plus proche de la putain que de son prot�g�. Pourtant Alexandre baise Marie et V�ronika. Marie et V�ronika, donc, se catalysent.
Alexandre � Marie
- Quand je fais l�amour avec vous, je ne pense qu�� la mort, � la terre, � la cendre�
Marie
- Alors vous faites l�amour avec la mort.
Alexandre
- Pourquoi ? Vous voyez des rivi�res, des cascades ruisselantes ?
Le ton juste sans jouer. Mais avec, parfois, quelques regards �gar�s: le com�dien se ma�trise mais ne peut aller parfois contre sa nature. Le spectateur s�essuie les mains ; il a chaud. Les s�quences d�filent, les heures aussi. La fin de la lecture, comme l�aboutissement du film, se d�roule au Flore. Oui, Madame, la place est libre� C�est vrai qu�il y a beaucoup de monde� Je vous en prie, servez-vous dans mon paquet ; j�ai du feu aussi.
Si tu ne vas pas au r�el, le r�el viendra � toi
La lecture reprend son cours et Dantec y prend sa part, venu l� pour Belhaj Kacem qu�il tient, dans ses P�riph�riques, pour un grand auteur. Les trois lecteurs sont cloisonn�s sur le rebord de la fen�tre, comme prisonniers de la lecture, comme pris par les personnages. Chacun termine son paquet qu�il a poisseusement fum�. Il faudra quelques ann�es pour s�en remettre, du tabac comme du texte, du papier roul� comme de celui prononc�. Face � cette maman et � cette putain aussi noires que nos poumons : se foutre par la fen�tre ou se tra�ner un cancer. Au premier �tage du Flore, difficile d�ouvrir les fen�tres ; alors va pour le cancer.
Fin de la derni�re s�quence. Silence. Applaudissements. Il �tait assis � c�t� depuis le d�but et se tourne vers nous et nos quelques bi�res plus tard. On est pr�ts � partager or c�est lui qui apporte, t�moin attentif d�un texte port�, acteur passionn� de cette histoire emport�e. Lui, Ren� Biaggi, camarade de vie d�un Eustache bouscul� par les seventies. Alexandre, c��tait lui. � l�imparfait. Un destin nourri d�amertume.
Parfois, le hasard des rencontres prend tout son sens dans les passions communes. Le Flore se vide. Chacun retrouve son quotidien, avec quelques r�trospections conjugales. Malmen� par un apr�s-midi de lecture, de mal-�tre. Beaucoup trop pour la moyenne des spectateurs. Ce n�est pas faux. Mais choisissez de vous tromper. Seule l�erreur, en art, trouve sa r�compense.
Charles Patin O�Coohoon et Olivier Stroh
+ de Belhaj Kacem
Quand, en 1992, son premier texte para�t dans la revue L�Immature, Mehdi Belhaj Kacem se pr�sente ainsi : � Maigre. Responsable d�une ou peut-�tre deux d�pressions nerveuses. Se lie avec des groupes d�amis moins vite qu�il ne se f�che avec eux. Aimerait savoir si le go�t de l�insurrection persiste encore quelque part dans le monde. Y sera port� disparu ou l�abattra. � �crivain franco-tunisien, n� en 1973, il vit � Tunis jusqu�� l��ge de 13 ans, �crit Cancer � celui de 17 ans, et prend conscience du v�ritable enjeu de l��criture � l��ge o� d�autres ne prennent pas. Plus qu�une ext�riorisation, l�entreprise litt�raire est une arme. Conf�re le texte expuls� dans l�urgence de l�entre-deux-tours pr�sidentiels : La Chute de la d�mocratie m�diatico-parlementaire, br�lant pamphlet au sujet du Le Pen engendr�, d�un Le Pen comme enfant l�gitime d�un syst�me qui le berce.
�lev� dans sa jeunesse par Lautr�amont, tandis que Nietzsche veille, entre Le Festin nu et Les Ma�tres anciens� tels seront ses � modes d�emploi � de la vie telle qu�elle se donne. Paraissent ensuite 1993 en 1994 et Vie et mort d�Ir�ne Lepic en 1996, o� la joie ponctue l�humour quand la violence se fait avide. Une apparition au cin�ma plus tard dans le r�le d�un �crivain antipathique et pr�tentieux (le sien ?) dans En avoir ou pas de La�titia Masson, il publie L�Ant�forme en 1997. Ni essai, ni roman, o� comment la d�composition physique se fond dans la d�sagr�gation cellulaire de notre civilisation et r�v�le la marginalit� de toute une g�n�ration. Le 23 mai 2003, il lit Alexandre, dans La Maman et la Putain, redonnant le r�le tenu jadis par L�aud, dans une diction si diff�rente. Mais avec un ton qui ne lui semble peut-�tre pas si �tranger.
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