Arthur Miller, points de vue d�un monstre sacr�

La rentr�e 2001 a vu r�appara�tre sur la sc�ne litt�raire l\'une des figures majeures de l\'intellectuel engag� : Arthur Miller. Tandis que se joue Le D�sarroi de Mr Peters au Th��tre de l\'Atelier (jusqu\'en juillet 2003), Buchet Chastel a r��dit� un roman �puis�, Focus, et publi� un recueil in�dit d\'articles et d\'essais, Fen�tres sur le si�cle, o� l\'�crivain d�voile par touches successives les diff�rents regards qu�il a port�s sur les �v�nements ayant marqu� aussi bien sa vie que son �poque, et bien souvent les deux � la fois. L\'ouvrage couvre le XX�me si�cle, tant�t vitup�rant dans le feu de l�actualit�, tant�t revenant sur les pol�miques pass�es.

L�existence d\'Arthur Miller a souvent acquis une dimension historique : en t�moignent son mariage avec un mythe vivant, Marilyn Monroe, et ses prises de positions dans le contexte du MacCarthysme, de la Guerre du Vietnam, et d�incessants combats id�ologiques. L�auteur d�crit avec justesse un processus de vase communicant, l�influence de son regard sur l�Histoire, et, r�ciproquement, celle des �v�nements sur ses opinions personnelles. S\'en suit une imbrication sous-jacente, � la mani�re de poup�es russes manipul�es avec esprit par l�auteur : � travers une vie, prise dans toute sa singularit�, Miller en vient naturellement aux circonstances historiques et politiques de tout �v�nement pass�, et en tire avec �clat des observations bien senties sur les conflits mondiaux et p�riph�riques, le r�le des �crivains en politique mais aussi la vitesse moyenne du bagel (petit pain) sur terrain pr�alablement givr�

Arthur Miller a �crit et s�est engag�.
Mais il aurait pu tout aussi bien distribuer des viennoiseries et s�engager. Ce n�est pas seulement par la diffusion et le retentissement de sa pens�e qu�il a agi mais par une r�flexion pouss�e, analysant avec minutie chacun de ses actes. Ses prises de parti nourrirent certes sa production litt�raire et ses essais, mais guid�rent aussi sa vie enti�re.

L\'homme est un monstre sacr� : son image m�le mythe hollywoodien, succ�s publics, bouillonnement intellectuel, action sur fond de D�pression lancinante ou de � chasse aux sorci�res � fulgurante de violence. Ses �crits �pousent une pens�e mouvante, singuli�re, sans artifices. Se juxtaposent ainsi, comme au petit bonheur la chance, des anecdotes d�rangeantes et jubilatoires (Parabole de la strip-teaseuse), des r�flexions sur les ouvrages d�Arthur Miller lui-m�me (Incident � Vichy, Les Sorci�res de Salem) et des analyses des �v�nements contemporains. L�ensemble prend toujours sens par rapport � l�Histoire : la strip-teaseuse officie dans les Balkans, Incident � Vichy d�rive sur le probl�me de la responsabilit� allemande, et pose la question ouverte de la culpabilit�. Arthur Miller n�est pas un monolithe d�assurance et de certitudes. C�est un t�moin, qui agit en son temps et donc sur son temps.

Mais c�est plus en romancier et en dramaturge qu�en essayiste ou philosophe qu�il a op�r�, cherchant � � exprimer la puissance de l�imagination humaine lorsqu�elle est enflamm�e, la po�sie de ce qui n�est que sugg�r�, le caract�re tragique enfin, d�une r�sistance h�ro�que oppos�e � une soci�t� poss�d�e �. Dans Focus, son premier roman r��dit� dans la m�me foul�e, la description de l�antis�mitisme sert de pierre de touche aux deux facettes de son �criture : entre onirisme et r�alisme s�insinue une critique d�rangeante et terriblement juste qui reste d�actualit�.

par Tam Tran Huy

Fen�tres sur le si�cle d�Arthur Miller,
Essai traduit de l�am�ricain par Anne -Marie Hussein
356 pp, paru chez Buchet Chastel le 27-09-02

Focus d�Arthur Miller
Roman traduit de l�am�ricain par Yvonne Desvignes
287 pp, r��dit� chez Buchet Chastel le 27-09-02