| | San Antonio : litt�rature ou soupe vulgaire ?
San Antonio : litt�rature, ou pas litt�rature ?
Le Fleuve Noir r��dite Les vacances de B�rurier en grand format (septembre 2001) : une occasion parfaite pour s�arr�ter quelques instants sur le fameux San Antonio, car qui ne le conna�t pas ?
Pour situer le personnage, et ses aventures : un commissaire, au sein de services semi-secrets style CIA franchouillarde, St Trop�zienne maladroite. San A n�a pourtant rien de Louis de Fun�s et de ses amis, s�duisant dragueur qu�il est, intelligent et bon vivant par surcro�t. Eternellement flanqu� de son ami B�rurier (Gros, le Mastar, Sa Majest�, pour ne citer que ses surnoms les plus connus), au braquemard toujours en alerte, aussi vif et sportif qu�un ver de terre, joyeux drille qui e�t fait des merveilles chez Pinder avec son nez rouge d�alcolo heureux et pas repenti pour deux sous. Parfois la grosse Berthe (la Gravosse), le coiffeur Alfred, la vieillasse (entendez le timor� Inspecteur Pinot), le Boss (Achille le Chef de la PJ), Monsieur F�lix (professeur exhibitionniste inoffensif) et enfin l�insupportable Marie-Marie s�en m�lent, et c�est la totale.
Il leur arrive quantit� de choses toutes plus incroyables les unes que les autres (on pourrait dresser une liste des � meilleurs � San Antonio, Fr�d�ric Dard, pour les intimes, qui serait fort longue : Tango chinetoque, Remouille-moi la compresse, B�rurier et ces dames, le dernier C�r�ales Killer, etc� et bien entendu la tr�s remarqu�e Histoire de France de San Antonio).
Dans Les vacances de B�rurier, la bande est au complet : on assiste � une enqu�te burlesque, avec queue mais sans t�te, comique au dernier degr�. Une farce bouffonne gigantesque, sur fond de meurtre qui n�est que pr�tessste � cette repr�sentation th��trale extraordinairement inventive, color�e, ridicule et cocasse. La croisi�re paradisiaque de San A sur le Mer d�Alors vous embarque, pour y faire red�couvrir le rebonds constants de l�auteur, le fluide de son imagination, son humour volontairement gras, et plus subtil qu�il n�y para�t.
On a souvent dit de San Antonio que �a n��tait pas de la vraie litt�rature. Fr�d�ric Dard, son papa, pas un v�ritable �crivain ? On excluera des consid�rations la question ennuyeuse du � n�gre � � la prolixit� de Fr�d�ric Dard est en effet �tonnante � plusieurs �gards �pour ne s�attacher qu�� l�objet livre qui est propos�, et qui poss�de un lectorat av�r� aussi �tendu qu�h�t�roclite. Finissons-en avec le premier d�une longue liste de pr�jug�s, qui veut que San Antonio aie le m�me genre de lecteurs que celui de S.A.S, mais en plus plouc encore. Les gens � biens � lisent aussi San Antonio (Roger Hanin, certains phommes olitiques qui ont d�plor� son d�part inattendu�).
De la soupe de bas �tage ? Examinons quelques crit�res qui font dire d\'un livre qu\'il est une oeuvre litt�raire.
Y a-t-il un style ? La langue (identifiable sans m�me que le nom de l\'auteur n\'apparaisse): vive autant qu�elle peut l��tre, po�tique � ses heures. Les mots sont pour la plupart invent�s, ou raccord�s pour finir tir�s dans tous les sens et par tous les chevaux de la Ford int�rieure fertile de l�auteur ; des mots mari�s puis divorc�s, accoupl�s le temps d�une page. Le discours et le style de Fr�d�ric Dard sont hors conventions litt�raires, exil�s des r�gles grammaticales ou orthographiques c�est certain, mais on le lui pardonne volontiers, face � la profusion d�images qui y sont v�hicul�es (cf. Dictionnaire de San Antonio, o� l�on retrouve les pires calembours c�toyant les plus belles perles de l��tendue inou�e de son vocabulaire).
Les personnages : fouill�s, �labor�s ? Sans �tre un pro des fiches techniques, il semble �vident que chacun des protagonistes de Fr�d�ric Dard poss�de une coh�rence avec lui-m�me et avec l\'aventure dans laquelle il est jet�. Le d�veloppement du livre n\'est pas propice � l\'�volution int�rieure et � une quelconque initiation (qu�te, d�fi, obstacle et r�solution) h�ro�que ou romanesque, mais sert � une mise en sc�ne des traits in�dits des anti-h�ros et des bizarreries de leurs identit�. On en vient � cette remarque �vidente : les personnages ont bel et bien une identit�, un relief plus que visible. Ils explosent au visage du lecteur.
Le sc�nario de chacun des livres n�est �videmment que l�occasion du d�ferlement de ces z�bus de langage. Pas de structures extraordinaires ; pas d�intrigues r�volutionnaires, aucune complexit� dramatique, pas de tortuosit�s alambiqu�es comme en poss�dent les vrais polars traditionnels.
Mais San Antonio, ce n�est pas du polar. C�est plus simplement un jeu de connivences entre l�auteur qui s��clate pour �clater un public adh�rent en majeure partie, qui entre dans l�univers si particulier du commissaire r�put�. D�cerner toute autre ambition dans l��uvre de Fr�d�ric Dard, relativement monumentale, serait vain. L�amusement avant tout, l��vasion, l�adoption de codes qui n�appartiennent qu�� une communaut� de fid�les en qu�te de saveur linguistique et de blagues rocambolesques exclusivement. De farces, quoi.
Ce qui ont lu quelques aventures de San Antonio, voire une bonne partie des p�rip�ties de ce flic de charme, n�y sont jamais rest�s indiff�rents. Peut-�tre avons-nous ici la preuve ultime, et la seule dot�e d�une quelconque valeur, que l��uvre San Antonionesque fait bel et bien partie d�un patrimoine litt�raire. Patrimoine certes d�cal�, certes grand-public, certes forniquant � des kilom�tres de la liste jalouse des pr�tendants de l�Acad�mie Fran�aise, mais patrimoine litt�raire quand m�me.
Emma Le Clair
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