"Nous avons pris un caf� ensemble. Plusieurs caf�s. Nous n'osions pas
quitter ce bar. Peut-�tre avions-nous l'intuition qu'il allait changer
notre vie, et que la vie nous avait chang�es. Nous �tions face � face,
� nous regarder. Elle souriait. Riait presque. Une complicit� qui est
n�e imm�diatement entre nous. Elle me regardait, et son regard me
disait qu'elle savait que je savais. Toutes les deux nous savions et
attendions le signal du d�part. C'est elle qui l'a donn�. Elle m'a
demand� de la suivre, de continuer � la suivre comme avant. Et j'ai
accept�. Je ne me suis pas aper�ue � ou peut-�tre que si � que cela
indiquait la direction irr�versible de notre amour. Je l'ai suivie.
Elle a travers� quelques rues, sans se retourner, pleine d'assurance.
Je suivais � quelques m�tres, la regardant marcher. Comment ne pas
l'observer ! C'�tait ma proie. Je voulais la rattraper. Ou pas. Je
devais la rattraper. Ou pas. J'ai gard� mes distances. Je savais que
je devais attendre un signal et que ce signal nous mettrait sur m�me
pied d'�galit�, et qu'alors commencerait la lutte, le corps � corps
in�luctable. Elle a rep�r� l'h�tel et y est entr�e. Sans m'adresser le
moindre geste. J'�tais d�concert�e. La fauve avait disparu de mon
champ de vision. M'�pierait-elle � son tour ? Soudain, mes armes m'ont
paru ridicules. J'�tais stup�faite, plant�e au milieu de la chauss�e,
devant l'h�tel. Quelques minutes plus tard, j'ai senti quelque chose
m'effleurer la t�te. Je l'ai saisie au vol ; c'�tait une culotte en
dentelle. J'ai regard� en l'air. Elle �tait l�, nue, sur le balcon du
premier �tage. Elle m'a lanc� les cl�s de sa chambre et a disparu. La
proie me convoquait � un pi�ge commun. Je dois reconna�tre que la peur
m'a paralys�e quelques instants, et que j'ai failli � pens�e fugitive
� m'enfuir. Mais je me rendais compte qu'il n'y avait pas
d'�chappatoire ; m�me si je partais sans monter dans la chambre, la
chose resterait in�vitable. T�t ou tard, �a arriverait. Nous le
savions toutes les deux. Moi, je l'ai su au moment o� je l'ai vue. En
montant au premier �tage par l'escalier en bois moquett�, je me suis
rappel� la premi�re fois que j'avais saut� dans une piscine avec en
t�te l'id�e d'apprendre � nager : je n'�tais pas s�re de pouvoir me
maintenir � flot, d'�tre r�ellement capable de franchir d'un bout �
l'autre la partie profonde sans me noyer, sans m'�puiser au milieu et
couler irr�m�diablement. Je me suis rappel� qu'au d�but les gens
nageaient le long du bord, au cas o� ils auraient besoin de s'y
rapprocher pour reprendre leur souffle, mais je n'ai pas touch� une
seule fois les rampes qui encadraient l'escalier. Je suis mont�e au
centre, sur la moquette qui amortissait jusqu'� l'alourdir le bruit de
mes pas. Arriv�e de l'autre c�t�, j'avais le vertige, le souffle
court, mais une sensation de victoire inconnue. Je me suis retourn�e
et j'ai vu toute cette eau qui m'avait tenue � sa merci, qui m'avait
inond� le corps, et je me suis dit que la nage, chez moi, �tait un
acte naturel. J'�tais un poisson � forme humain, qui avait appris � se
d�placer, � se mouvoir et � vivre hors de l'eau ; une �norme baleine
blanche qui avait appris � respirer l'air, mais qui pouvait plonger
dans les irr�alit�s liquides sans s'asphyxier.(�)
Flavia Company lire la critique de Donne-moi du plaisir |