| | Le cri du sablier
| | le cri du sablier Chlo� Delaume Farrago
| Prix éditeur 12.96 francs 132 pages © Farrago , 2001 |
Aussi. L�enfant avait un nom puisque la l�gislation en vigueur imposait � ses g�niteurs d�en faire d�claration � la pr�fecture la plus proche. Si l�enfant avait �t� un gar�on il se serait appel� tout de suite. Mais l�enfant �tait contrariante. Elle tint obstin�ment t�te aux aiguilles � tricoter, aux r�gimes alimentaires, aux pr�dictions scand�es rebouteuse de rabais et aux influences de la lune. Le jour de l�expulsion les parents constat�rent avec d�pit la pr�sence incongrue du doublon chromosome et renonc�rent � tout effort d�appellation. Seul le personnel hospitalier sembla s�en �mouvoir. En 1973, il n��tait plus permis aux concepteurs d�enfants d�exposer leur produit au sommet de la butte aux Cailles ni d�un mont quelconque, ce que le p�re jugea peu pratique. Au matin du troisi�me jour la m�re, songeant avec une nostalgie non feinte � cette �poque b�nie o� les petons des niards pouvaient �tre transperc�s pour d�corer les branches des robustes oliviers, jeta un �il exasp�r� au fruit d�j� g�t� de ses entrailles. Dans le lit � roulettes l�enfant criait souvent, esp�rant par l� m�me rappeler � quelqu�un que lui faire ing�rer un liquide nutritif e�t �t� de bon ton. J�aimerais lui clouer le bec dit-elle en s�approchant l�oreiller � la main. C�est ainsi que la m�re nomma Chlo� la fille de l�aume parce qu�il est quand m�me grand temps de se d�cider Madame dit le p�diatre reprenez donc un Temesta.
L�enfant s�ennuya rapidement. Jusqu�� ses cinq ans, l�enfant habita Beyrouth mais ne garda de cette p�riode que tr�s peu de souvenirs. Emigr�s en banlieur parisienne les parents prirent un appartement. Le p�re partait de long mois. La m�re travaillait la journ�e. Afin qu�elle f�t victime d�un de ces accidents domestiques auxquels la t�l�vision consacrait moult plages informatives, l�enfant fut laiss�e cinq jours sur sept sans surveillance de huit � dix-neuf heures. Une cruche dilu�e grenadine et des assiettes anglaises �taient laiss�es � son intention sur la table de la cuisine. Etrangement, bien qu�elle f�t turbulente, l�enfant n�introduisit jamais ses doigts dans la prise, ne joua jamais avec le fer � repasser laiss� allum�, ne se fit aucun gargarisme � l�eau de Javel et n�eut pas davantage l�id�e de se d�fenestrer. Peut-�tre que la m�re en fut d�sappoint�e.
Pour des raisons rest�es obscures en d�pit de l�enqu�te minutieusement men�e par la suite aupr�s de ses r�sidus familiaux, l�enfant n�int�gra le corps social qu�en CP. Etant d�sormais consid�r�e comme autonome, l�enfant fut munie d�une clef de l�appartement et initi�e aux myst�res de la gazini�re Arthur Martin, gr�ce � laquelle elle �chauffait une casserole de petits pois ou de pur�e mousseline le midi. L��cole �tait � dix minutes du domicile. L�enfant faisait le trajet seule, prenant conscience qu�un quelque chose ne tournait pas tr�s rond quelque part oui mais quoi. A la sortie de l��cole, il n��tait pas rare qu�elle se coll�t ostensiblement au manteau d�une passante, afin de constituer un visible bin�me face � ses camarades escort�es par leur m�re.
L�ann�e o� elle avait �t� livr�e � elle-m�me dans l�appartement lui avait permis de d�crypter certains mots, aussi avait-elle inopin�ment pratiqu� l�apprentissage de la lecture selon la m�thode globale, fort en vogue chez les p�dagogues des ann�es quatre-vingt, mais nullement pratiqu�e par les enseignants de l��tablissement qu�elle fr�quentait puisqu�elle �tait inscrite chez les bonnes s�urs. Aussi, lorsque l�institutrice r�pondant au nom de s�ur Monique lui demanda de se pr�ter � un exercice fort basique, l�enfan exposa pos�ment qu�elle esp�rait � l�avenir prendre connaissance d�informations un tant soit peu plus palpitantes que papa fume la pipe ou maman a une robe rouge : la robe de maman est jolie. La m�re de l�enfant fut aussit�t convoqu�e. Il va sans dire qu�elle refusa de prendre rendez-vous avec la psychologue scolaire. Sauter une classe occasionne des paperasses, vous n�avez pas id�e.Ainsi l�enfant pendant huit mois put se plonger dans de transcendants abymes r�flexifs : Marie aime la soupe de maman. La soupe de maman est � la tomate.
La scolarit� de l�enfant fut n�anmoins troubl�e d�s le cours �l�mentaire par la pr�sence des math�matiques. L�enfant s�y montra r�fractaire d�s le premier jour, mais s�ur Monique, trop occup�e � d�tailler la garde-robe et les secrets culinaires de maman n�y prit pas garde. L�enfant jugeait les chiffres laids. Leur graphisme lui paraissait �tranger et abscons. Autant son �criture, ronde et appliqu�e, laissait courir une r�gularit� r�compens�e le long des pages de son cahier, autant le trac� de ses chiffres se r�v�lait d�une maladresse confinant la d�bilit� mentale. Les r�gles ne s�imprimaient que partiellement dans son petit cerveau, au terme d�heures pass�es � transposer les chiffres en pommes, en accessoires d��colier, en bo�tes de p�t� Olida ou tout autre ustensile susceptible de convenir. Un soir qu�elle peinait sur un soustraction � trois chiffres, la m�re la rabroua. Il fallait donc que l�enfant soit d�une stupidit� in�galable pour �te � ce point incapable de mener � bien cette simplissime op�ration. L�enfant confia dans un sanglot combien la terreur la saisissait d�s que les devoirs de calcul alignaient leurs cabalistiques symboles. C�est du chinois geignit-elle avant de se prendre une mandale qu�elle n�avait para�t-il pas vol�e. Ne sois pas cr�tine gronda la m�re, ce sont des chiffres arabes. L�enfant comprit alors. Les chiffres appartenaient � la langue du p�re. Celui-ci surgissait � travers tout contact math�matique.Toujours les �quations lui feraient violence. Toujours elle aurait l�impression que la folie se profilerait derri�res les tables diverses et les nombres premiers. Une folie qu�elle serait la seule � percevoir comme telle. Qu�elle sentait d�j� si tangible. Jusqu�� l��preuve du baccalaur�at, dernier supplice impos� par la structure scolaire, les fonctions et les inconnues la tortureraient mentalement comme les coups ass�n�s par le p�re surent meurtrir sa chair. La peur de l�X. Le chromosome rampant. Chassez le naturel on conna�t la chanson.
Chlo� Delaume
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