Mission : Anthropoïde
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Tandis que la polémique opposant Claude Lanzman et Yannick Haenel autour de Jan Karski ne cesse de prendre de l’ampleur, Laurent Binet, nouveau venu sur le territoire littéraire français, décale lui aussi le regard sur la Deuxième guerre mondiale en s’attachant à la figure de Reinhard Heydrich, un des nazis de l’ombre les plus nocifs et les moins connus. Heydrich, chef de la Gestapo et des services secrets, a pris une part active à la Solution finale. Mais loin de lui quelconque volonté opportuniste. La Deuxième guerre mondiale, événement historique à la fois proche et lointain, n’a d’ailleurs selon lui cessé d’alimenter le champ romanesque depuis des décennies. L’Histoire, matière et matériau, l’a toujours passionné.
Pour des raisons familiales sans doute – son père est professeur d’histoire – mais aussi par intérêt personnel. Ainsi, lorsqu’il effectue son service militaire en Slovaquie et séjourne quelque temps à Prague, il se souvient de l’incroyable assassinat de Heydrich par deux résistants, l’un tchèque, l’autre slovaque, au cours de cette fameuse opération Anthropoïde. Lentement, l’idée d’écrire sur ces hommes va faire son chemin. C’est le point de départ d’années de recherche et d’interrogations qu’il nous fait partager tout au long du récit retracé dans HHhH. Car lorsque l’on s’empare du destin d’hommes ayant l’étoffe de héros, la tentation est forte de vouloir romancer, glorifier leur parcours. Or, à l’inverse de Barthes – qu’il estime par ailleurs – il ne pense pas que l’on puisse considérer que tout est fiction.
Pacte de lecture
Si la notion de vraisemblance l’ennuie, celle de vérité lui tient à cœur. Guidé par le souci de rendre un hommage le plus fidèle et précis possible à des destins hors du commun, il se contraint à une rigoureuse exactitude dans les moindres détails évoqués. Ainsi s’interdit-il de faire boire du café à « ses » personnages s’il n’est pas certain qu’ils n'en buvaient pas. S’autoriser ce genre d’imprécisions pourrait en entraîner de plus grandes et glisser vers les aléas de la reconstitution faussée. Mais aussi par l’envie de stimuler l’attention du lecteur, le rendre actif et le pousser à adopter une position critique par rapport à ce qu’on lui offre à lire. Une façon de proposer son propre pacte de lecture…
Goncourt junior !
Ceci étant dit, si le roman demeure source d’interrogation, l’écriture semble être une évidence - « Tout le monde écrit, non ? », remarque-t-il, amusé -. D’ailleurs, s’il considère HHhH comme sa première œuvre véritable, il n’est pas tout à fait à sa première rencontre avec la sphère éditoriale puisqu’il a publié il y a quelques années un récit surréaliste écrit pendant son adolescence, Forces et faiblesses de nos muqueuses puis La vie professionnelle de Laurent B., journal de son expérience de professeur dans lequel il s’essayait déjà à mêler récit et témoignage… Expérimentation poussée plus loin dans HHhH et certainement pas étrangère au fait que ce titre ait été retenu sur la liste du prix Goncourt du premier roman. Nous l’avons rencontré la veille de la délibération. Interrogé sur cette sélection, Laurent Binet en était évidemment ravi, un peu dépassé par les événements, mais notait surtout que l’histoire ne retient que les vainqueurs…. Une façon de conjurer le sort ? En tout cas, pour la victoire, c’est chose faite puisque le prix lui a été attribué le lendemain. Pour les prochaines batailles, on ne doute pas qu’il y en aura puisqu’il a déjà posé les jalons de nouveaux projets d’écriture. Différents dans leur thématique, mais toujours à la lisière des genres. Restons attentifs, donc.
Photo Nicolas Wintrebert
Laurent Binet
HHhH
Éditions Grasset
20,90€ - 442 p.