Après Chronique de l’oiseau à ressort et les Amants du Spoutnik, c’est un nouveau monde, toujours un peu plus fantastique, hypnotique aussi, que nous livre Haruki Murakami, qui dit-on ici et là ferait un excellent prix Nobel… Ce n’est pas l’histoire d’un praguois posté devant la mer. Non c’est l’histoire de Kafka qui cherche sa mère. D’ailleurs n’est de kafkaïen que le nom du narrateur. Kafka Tamura, 15 ans, fuit. Une fugue pour échapper à une malédiction et retrouver sa mère. Une terrible prophétie œdipienne orchestrée par son père. Fuir le parricide, éviter l’inceste, tel est la quête du jeune Tokyoïte. " J'ai pensé que l'anniversaire de mes quinze ans était le jour idéal pour m'enfuir. Avant c'était trop tôt, et après, il sera peut-être trop tard. J'ai passé les deux dernières années, mes années de collège, à m'entraîner en vue de cette fugue." Sur l’autre rive, un vieil homme, Nakata, unique victime d’un mystérieux coma qui a frappé un groupe d’enfant après la guerre et lui a fait perdre ses possibilité intellectuelles. Un simple d’esprit, un idiot qui parle aux chats. Mais on a beaucoup à apprendre de l’idiot. N’est-ce pas Dost… Il se met en chemin poussé par une force obscure. Énigmatique il ne communique pas avec les humains. Alors il parle aux chats, d’abord du temps qu’il fait, puis des leçons venues du Ciel. Ces deux tracés parallèle finissent par se couper, bercé par le songe, l’hypnose et la magie de Murakami. Les sentiers de la perdition En chemin on croise tour à tour Johnie Walker, botte de cuir, redingote rouge et chapeau haut de forme. Chez Murakami, le whisky, toujours. On rencontre également le colonel " je suis un concept abstrait ", qui prend l’apparence d’une icône du capitalisme (Kentucky Fried Chicken). Chez Murakami, l’Amérique, toujours. On écoute Coltrane, Schubert, Beethoven. Chez Murakami, la musique, toujours. Sur la route aussi, une prostituée fan d’Hegel, des poissons tombés du ciel et des soldats de la seconde guerre qui n’ont pas vieilli. Dans l’inconscient le temps n’existe plus. L’urgence de Kafka sur le rivage réside dans le traitement du destin. La malveillance s’incarne par la prophétie œdipienne. S’éloigner le plus possible de la réalité pour finalement se la représenter le mieux. Mais où trouver refuge quand on est la proie d’une implacable machine infernale ? Une bibliothèque ? Peut-être. Tout est métaphore La différence entre le corps et l’âme tient souvent à pas grand-chose. Il en est de même chez Murakami. La distance entre le scénario et le roman est infime dans son écriture. Nourrie de cinématographie, elle est visuelle. Très. L’écart qui sépare le songe de la réalité est éphémère. Alors on repose le livre et l’on songe…L’élégance japonaise d’une écriture où le ténébreux goût du saké, mêlé au fleurissement des cerisiers installent Haruki Murakami sur la rive des très grands, et ça n’est pas Kafka qui démentira.
Charles Patin_O_Coohoon
Kafka sur le rivage Haruki Murakami Ed. Belfond 640 p / 23 € ISBN:
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