Que celui qui a dit que l’enfance n’était pas le plus bel âge de la vie se lève et s’avance. L’Infante lui fera la leçon. Âgée de sept ans, fille de la Reine-Mère et du Roi-son-père, cordonnier de son état, l’Infante "sera souveraine d’ici". Dès la première ligne, tout est dit : la confiance dans les possibilités infinies de la vie avec le futur simple, l’assurance de soi avec le verbe d’état et le nom de "souveraine", l’unité de lieu avec l’adverbe "ici" qui cache la tonnelle de glycine, le jardin de ses parents, le village de Loir-et-Cher et le fleuve mitoyen. Car sous la maison de l’Infante coule la Loire, personnage à part entière du roman. Dans son premier roman, Françoise benAssis met en scène une fillette (elle ?) très "languë", selon les termes de sa propre mère. Comprenez : "impertinente", "insolente", "effrontée". La fillette intervient dans les conversations, répond à ses royaux géniteurs et fonde déjà sa vie sur des préceptes aussi péremptoires qu’attendrissants : "Le pouvoir à sept ans, c’est être sous la tonnelle du jardin du devant". Mais elle est d’abord une enfant, comme les autres quand elle s’amuse ou découvre l’amour, à part quand elle se confie à la Loire et consacre tant de temps à la lecture. Jusqu’à attirer l’attention de son instituteur qui la mènera jusqu’au concours d’entrée en sixième. Dans ces années d’après-guerre, la méritocratie républicaine permettait aux infantes de basse condition de s’élever socialement. Dans ces villages de province, la radio permettait d’écouter Édith Piaf chanter, à la famille Duraton de vivre et à Dien Bien Phû de tomber un certain mois de mai 1954. Autant d’évocations de cette France des années 1950 qui introduisent du réel dans cette histoire d’Infante... ou qui replacent L’Infante dans la réalité historique... Car telle est bien l’une des réussites stylistiques de Françoise benAssis : les trois personnages principaux du roman ne sont jamais nommés autrement que par leurs titres royaux. L’on oublie parfois le cadre de leur vie, leurs actions quotidiennes... jusqu’à ce que la Reine-Mère use de son parler rocailleux ou que le Roi-son-père soit surpris à bêcher son jardin. Belle réflexion en mouvement sur l’acte de nommer les personnes et les choses, dont l’importance ne tient parfois qu’à leurs nom et titre. Et l’on se souvient que l’Infante était déjà très préoccupée par l’acte de "nommer les choses et les gens". Mais ces appellations participent aussi à l’ironie attendrie du livre. La plume de l’auteur garde le sourire en coin quand elle se souvient de son ancêtre, utilisée pour écrire à la Reine d’Angleterre, à l’âge de sept ans. Elle se fait précise quand elle évoque les relations entre l’instituteur et le curé, le laïc et le croyant. Elle recueille, dans de courts chapitres où alternent bonheur et gravité ("Les robes d’un jour" étant le plus abouti de ce point de vue), des anecdotes aussi décousues que vraies dans leur ton. Des tranches de vie, dont les bornes ne semblent pas choisies innocemment : l’Infante a sept ans au début du roman, l’âge de raison selon les grands ; elle en a quatorze à la fin, le vrai début de l’âge mûr pour elle, après avoir été confrontée à l’amour et la mort. Vous souvenez-vous du jour où vous comprîtes que tout le monde allait mourir ? Le narrateur de L’Infante est anonyme, omniscient. Mais son récit adopte parfois les postures, accompagne souvent les réactions de la fillette, si bien que l’on rapproche l'Infante à benAssis. C'est alors que deux chemins se croisent. Une adulte se rappelle une jeunesse. On se rappelle Proust. La France des villages et des tableaux noirs : on se souvient de Pagnol. Le minimalisme des scènes, de courts chapitres idoines et l’on se délasse... Une Infante que l'on déguste benAssis. Olivier Stroh
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L'Infante Françoise benAssis Ed. Gallimard Coll. Haute Enfance 240 p / 14 € ISBN: 2070767639
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