Mer calme à peu agitée, le second roman d’Alexandre Millon est publié aux Editions du Dilettante. Et ça lui va bien. Dans son écriture joueuse et frénétique, on retrouve avec bonheur la définition formelle du dilettante, nom précieux mais commun: celui qui s’adonne à un art en amateur, pour son seul plaisir. En plein dans le mille, Millon sait mettre en scène une jubilation constante qui éclaire considérablement le récit. Mais sur ce point nous reviendrons. D’abord, Samuel Sarandon, le héros bruxellois qui vogue sur une mer de dialogues pré-fabriqués et de sociabilité molle. Version bobo éclairé. Samuel Sarandon, un de ces golden boy brillants pour qui la carrière s’est enfoncée lamentablement dans un désert d’objectifs. Une existence minutée, réglée et logiquement monotone. Un ami cher : Baize. Prénom d’épicurien, d’échange de sensations épidermiques sans pouvoir s’extirper des mailles du confort bourgeois. Un confort qui crée des certitudes localisées, qui se cognent, se mordent, naissent les unes des autres. Ensuite, Camille employée à la Fnac, le grain de fantaisie qui vient remettre en cause cette apparente plénitude, révèle la vacuité des sentiments et des engagements. Samuel est mis à nu comme bien souvent, dans ces histoires de l’amour où l’autre devient un horizon qui destine. Plus haut et plus fort que tout. Un but : la conquérir. Un battement de cœur : le chant de l’amoureux. La passion s’immisce dans une existence d’homme bien ordonné pour en faire surgir les fissures, affectives et spirituelles. C’est banal mais vital aussi. Combien nombreux et reconnaissants sont les corps désincarnés d’envie vers lesquels l’altérité a tendu sa main gracile et sertie d’espérance ? Alexandre Millon parle de choses tristes, de cette incapacité propre aux sociétés riches et à leurs composants de ne pouvoir s’émerveiller, de dissoudre leurs irrégularités émotionnelles pour en finir avec les relations qui impliquent, risquées, vertigineuses. Il parle de choses tristes oui. Mais partout la gaieté pointe. Il parle doucement, avec un accent narré où se mélangent la Belgique de ses origines, les peurs de sa quotidienneté et les espoirs de ses destinations amoureuses. Sans jamais briser les élans rythmiques, il agrémente son propos d’étirements et de contorsions sur les grandes questions du désir et du désir de l’autre. Avec son langage touche-à-tout et explorateur ironique, le narrateur parvient avec finesse à marquer des vérités troublantes. Un seul exemple : il est question à la page 130 du sens oblatif de l’amour. « Il était sur le point de comprendre que l’amour, le vrai, ne passe pas par quelqu’un sur lequel on s’appuie, mais passe par quelqu’un qui nous aide à nous passer de cette habitude. » En une seule phrase rôdant au détour d’un passage simple et épuré, on a tout compris. Si vous cherchez un grand feu d’artifice littéraire, les danses des mots, les excès et les souffrances de la passion amoureuse, passez votre chemin. Vous croiserez peut-être Alexandre plus tard. Et qu’à cela ne tienne, il a l’air d’aimer les rendez-vous. Son texte est d’ailleurs truffé de petites portes qui s’ouvrent sur la légèreté et la joie, de toutes petites choses qui s’agglutinent, s’enfuient et reviennent avec ferveur pour nous faire sourire et nous faire poursuivre. Pas un chef d’œuvre, un mastodonte du style et de la postérité. Mais un petit plaisir radieux qu’en zonarde lucide, je vous invite à consommer sans pudeur, ni modération.
Céline Mas
Mer calme à peu agitée Alexandre Millon Ed. Le Dilettante 154 p / 13 € ISBN: 2842630653
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