Seulement quarante-deux ans et déjà Mille amertumes ? Après avoir envoyé ses nouvelles à Libération et au Matricule des anges (en priant pour le sien), Philippe Lafitte nous propose ici son premier roman. Qu'il se rassure, ça n'est pas au titre qu'on songe en terminant l'ouvrage. Débarqué de la publicité, il prend soin de ne pas confondre le monde de l'entreprise avec l'art littéraire. Entre souvenirs et difficultés actuelles entre alcool et mal être, "itinéraire d'un enfant raté." Assis sur le rebord de la société, le clochard n'est-il pas le triste témoin d'un monde en perdition? (convenons d'appeler un clochard ce que le politiquement correct voudrait appeler un marginal). Dédiant son premier ouvrage à André Suarès, Philippe Lafitte précipite son cher lecteur dans une immense prison, aveugle et glacée. Si Suarès s'inquiétait de la génération du début XX ème, Lafitte s'interroge, lui, sur l'apathie de la sienne ULTRA MODERNE-FINITUDE ? L'ouverture du roman est un songe, un passage en revue des événements de ces trente années dites glorieuses; une rétrospective d'une génération (négative) passée en diapositive. Un homme déclare à la foule qu'il est "berlinois", un autre dit "avoir fait un rêve". Le monde change. L'espoir est permis. L'ouverture, c'est un coq qui chante les années de désenchantements du narrateur tel le coq chantant le reniement de Pierre (Matthieu 26.69-75). Les Trentes Glorieuses sont le témoin d'une génération promise au bonheur mais dont une partie sombre dans la désillusion. A toute gloire s'accompagne la déchéance? Issu de cette génération, il ne sait trouver d'intérêt à la vie mais il est trop lâche pour la quitter. Lui, c'est un ancien écrivain devenu vagabond qui fait l'inventaire de ses actes manqués telle Jeanne vivant dans le passé d'Une Vie de Maupassant. Sa compagnie est émouvante, le voyage douloureux. Alors qu'à six ans on prêt à vivre de grandes passions, l'internat "pareil à une obscure galerie souterraine" est source de premières déconvenues. La résurrection arrive avec l'écriture, qui après l'avoir élevé, le détruit. Dans cette société où chacun est à sa place "les passants continuent de passer", seuls les cloaques, boyaux de la terre, sont un refuge. Seul l'alcool tend sa main. De la rue à l'hôpital, de l'hôpital aux égouts, les haltes sont le théâtre de diagnostiques diagnostics physiques et moraux. Cependant, avoir un brelan d'As dans la main et se coucher péniblement nourrit des amertumes; pourquoi vivre encore, quand on vit dans le souvenir, l'alcool et la triste impression d'une vie gâchée? De ces Mille amertumes s'en détache une: et si l'existence n'était qu'une expiation avant l'éternité. On verra bien. Charles Patin o'Coohoon
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Mille amertumes Philippe Lafitte Ed. Buchet Chastel 0 p / 13 € ISBN: 2283019397
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