L’air de rien, Flint réussit la passe de quatre : drôle, bien écrit, universel et docte. Un début de culture pour les trentenaires. Programmer des missiles balistiques pour le gouvernement anglais, il y a mieux pour s’attirer les faveurs de parents hippies pur sucre -non raffiné, bien sûr. Il faut dire que Cooper est tombé tête la première dans le gouffre qui sépare les dernières utopies des premières douleurs sociales : chômage, MST... Stasie et Jack, ses géniteurs, vivaient dans l’esthétique de ce qui ne sied finalement qu’à la jeunesse. Tandis que leur fils marne avant d’être vieux et d’avoir une bonne raison de mourir. Les spasmes de la crise du pétrole, la déliquescence écologique et le Sida plus ses parents, c’en est trop pour la joie de vivre, alors il se contente de la satisfaction de vivoter… Génération perdue ! Les paradis sont en bout de course, et James Flint préfère se promener dans les friches industrielles qui leur ont succédé. Mille teintes de gris plutôt que les arcs en ciel psyché : il a le chic pour faire se rencontrer sur un champ de bataille nos parents peau de chèvre, successeurs des peaux de vache, et la génération de lémuriens bardés d’attaché-case qu’ils ont engendrée. Chèvres et jeunes loups Une fois tous ces clichés collectés, vous aurez une bonne moitié de l’album-photo familial de Cooper, alias Ash, l’antiparticule d’Electrons libres… Et peut-être une partie du votre. Etrange objet que ce roman qui, comme les corps quantiques, hésite entre l’onde -au gré des vagues à l’âme du héros- et le corpuscule : le noyau inaltérable du récit étant la recherche du père abandonnique, Jack Reever. Militant, artiste et lâche de premier ordre. Lâche pour avoir largué son jeune fils dans l’enfer libertaire de la folk music, des sit-in antinucléaires, de l’échangisme à la petite semaine et des drogues dures... Mélange bien noueux pour la libido, dont Cooper s’extirpera à force d’initiations et d’assassinats oedipiens. Comble de l’éparpillement, il reviendra à son fils sous forme de cendres dans une urne, ce qui lancera notre « électron libre » dans le grand cyclotron de la vie et dans la narration dudit bouquin. Pour ce faire, Flint a les arguments de son âge : jeux vidéos, Sci-fi un rien datée… Et quand il raconte un périple, il le fait comme un pote, photos à l’appui. Rien que la narration est un slogan générationnel, mimant le ROPG. Sorry ? Le Role Playing game : A va vers B qui donne X pour aller voir C, qui donne Y etc, etc… L’enfance de l’art pour qui a déjà joué à Zelda, une logique aussi pure que les circonvolutions du nouveau Roman sont noueuses. Au bout de la quête ? Un père pour le héros, une fin pour le livre. 68 tares Fait merveilleux pour l’hypothèse post-soixante huitarde, l’auteur d’Electrons libres est né en 1968 et possède un CV de clochard céleste : journaliste en Inde et en Angleterre ou musicien de jazz. Il frappe en plein cœur de cible dans la « génération défiance » au ventre mou : des trentenaires flageolants, recroquevillés, passionnés de sofa et de « cocooning » en une vague reproduction de la matrice dont on les a trop vite éjecté vers des matins qui déchantent. Résultat, des « petits cons pragmatiques » d’un côté, des utopistes en retour de flamme de l’autre. A la violence rigoriste succède l’égoïsme affectueux, les enfants s’élèvent avec la télé pendant que les parents vaquent à différents orifices, perclus de liberté. Electrons libres est un métal rare, radioactif et sublimé à température ambiante, un point d’ancrage, un havre culturel pour qui une génération qui n’en a pas, celle des trentenaires. Qui, au passage, y gagne une identité et décoche la première victoire sur ses parents. Mais attention, passé le pitch Nintendo et le prétexte du fossé des générations, Flint a su jouer sur d’autres leviers symboliques, infiniment plus subtils et souterrains. Les rouages d’une mystique moderne qui convie toute l’humanité devant le même Athanor, ce creuset d’où les alchimistes s’échinaient à extraire la pierre philosophale. Le tour de force d’Electrons libres est d’avoir masqué sous une gangue de trivialité et d’humour anglais une thèse plus radiante qu’un soleil. Le plomb en or, nous le disions : Flint a gagné son rang dans le tableau de Mendeleiev, parmi les éléments artificiels les plus exotiques et les plus inclassables. Miraculeux.
Laurent Simon
Electrons libres James Flint Ed. Au diable vauvert 548 p / 24 € ISBN: 2846260966
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