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Noir, c�est noir ?
| | Noir dehors Val�rie Tong Cuong Grasset
| Prix éditeur 14.00 euros
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Peu apr�s les "�v�nements" du 11 septembre 2001, New
York subissait un second choc : une coupure de courant
g�n�ralis�e sans pr�c�dent. Tel est le point de d�part et la
trame de fond de Noir dehors.
Que peut-il y a voir de commun entre Naomi, jeune prostitu�e
orpheline et toxicomane, Simon, brillant avocat, et Canal (du
nom de la rue o� il a �t� retrouv�), jeune Chinois autodidacte et
orphelin, exploit� par le marchand qui l�a recueilli ? Rien a priori,
si ce n�est leur commune r�sidence dans la moderne et
cosmopolite New York. �tant donn� la densit� et le
fourmillement de cette industrieuse cit�, la probabilit� pour que
de tels �tres se rencontrent tendait vers le n�ant. C��tait sans
compter sur cette panne d��lectricit� qui a frapp� la ville de ses
bas-fonds jusqu�aux gratte-ciels, r�tablissant ainsi
temporairement un semblant d��galit� entre les hommes. Car
s�il y a une technologie omnipr�sente et dont la privation laisse
ses contemporains fort d�pourvus, il s�agit bien de l��lectricit�.
Par grand froid ou par temps de canicule, elle seule est capable
de prot�ger nos fragiles
organismes contre les vicissitudes et les caprices du dehors.
Aussi lorsqu�elle dispara�t, c�est sur ses propres ressources et
sa capacit� r�flexive que chacun se voit contraint de se
recroqueviller. En effet, quoi de plus superflu qu�une carte de
cr�dit, aussi gold soit-elle, quand tous les distributeurs
automatiques sont condamn�s au mutisme en l�absence
d�alimentation �nerg�tique ? Simon le nanti fait durement
l�exp�rience de cette rude et subite abolition des privil�ges.
Dr�le d�endroit pour une rencontre
C�est ainsi qu�il se met en voie d�un lieu moins hostile que les
chauss�es bitum�es, d�un refuge pour passer la nuit. � l�issue
d�une errance au cours de laquelle il prend plus que jamais
conscience de son extr�me solitude et de la duperie que
repr�sentait � ses yeux la
qui�tude d�une vie familiale pr�tendument mod�le, il arrive dans
une �glise, qui, telle l�arche de No�, constitue le point de
ralliement de toutes ces �mes perdues. Une atmosph�re
apocalyptique y r�gne, cadre d�une trag�die des temps
modernes dans laquelle l�homme, m�me surprot�g�, t�moigne
d�une profonde faiblesse. Car si l�obscurit�
effraie, c�est bien parce que, tel un r�v�lateur photographique,
elle met en lumi�re la d�shumanisation urbaine et �claire le
mal-�tre de chacun. Que l�on se pr�nomme Simon, Canal ou
Naomi, homme ou femme, c�est avant tout contre l��pret� et la
violence du quotidien que l�on s�efforce de lutter en s��vadant.
Pour cela, � chacun son rem�de : tandis que l�un se repa�t de
ses fantasmes, l�une se soulage dans la drogue et l�autre se
ressource dans la philosophie zen.
� la crois�e des destins
Sans jamais sombrer dans le path�tique, Val�rie Tong Cuong
pointe ainsi les faiblesses particuli�res de chacun et la
commune solitude plus que jamais pesante dans la froideur
des grandes villes dont elle fait de New York l�embl�me.
Croisant des destins aussi divers
que probables, elle capte �galement avec subtilit� l�atmosph�re
� la fois enivrante et oppressante de cette capitale mythique. Il y
a en cela quelque chose de profond�ment cin�matographique
dans la composition de son r�cit. L�on pense in�vitablement �
certains
films de Scorsese pour ce qui est des bas-fonds de la ville, et �
l�itin�raire nocturne qu�elle nous propose comme voie vers une
r�demption. Mais aussi � Do the right thing de Spike Lee
pour l��vocation de cette chaleur insupportable et de la tension
latente
qu�elle traduit et contribue � faire exploser. Et enfin � la
flmographie de Quentin Tarantino pour la juxtaposition et
l�alternance des points de vue. Alors, noir le sc�nario de Val�rie
Tong Cuong ? Dehors, peut-�tre. Apr�s tout les �clipses sont
rares. Mais certainement pas aux tr�fonds de l��me humaine
pour qui cette nuit de tous les dangers devient aussi celle de
tous les possibles.
Laurence Bourgeon
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