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Oraison �pistolaire
| | Lacrimosa R�gis Jauffret Gallimard
| Prix éditeur 16.00 euros
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Sous le nom de l�auteur, un mot se d�tache de la
couverture immacul�e : Lacrimosa. Un titre sibyllin, comme
venu d�ailleurs. Une enveloppe de myst�res que l�on d�cach�te bien
volontiers�
Un homme et une femme correspondent. Il est vivant, elle est morte,
ou peut-�tre est-ce le contraire. Ils se manquent, se d�chirent, se
mentent et effacent peu � peu les fronti�res qui s�parent le r�el de
l�imaginaire. L�un apr�s l�autre, ils semblent nous inviter �
regarder par-dessus leur �paule tandis qu�ils s'�crivent, nous
faisant ainsi t�moins de leurs �changes, comme pour s�assurer qu�ils
existent vraiment. Elle s�adresse � celui qu�elle a quitt�. Lui
�voque cette jeune femme qu�il n�osa aimer que le jour o� elle d�cida
de se pendre. Pour la garder au plus pr�s de lui, l�homme n�a trouv�
qu�un seul moyen : continuer � lui parler. L�appelant tendrement �
Ch�re Charlotte �, il raconte ses folies passag�res, ses
impudences et cette fa�on qu�elle avait de se placer toujours � c�t�
de la vie, par peur d�y sombrer.
Fantasmagories romanesques
Au fil des pages, la jeune femme appara�t de plus en plus vaporeuse.
Elle se m�tamorphose sous nos yeux en production litt�raire, fruit de
l�imagination d�un �crivain abondant : � -Et tu as fait de moi un
proc�d� romanesque ! M�me pas une �uvre d�art, une statue, une
m�lodie ! Non, un personnage ! Pour dire vrai, une utilit�, un
ingr�dient que tu jettes dans ta soupe de mots pour l��paissir quand
elle devient claire comme de l�eau. � Charlotte se d�bat comme
une poss�d�e pour ne pas se transformer en vulgaire marchandise,
objet �tiquet�, victime d�une promotion intense et du battage
m�diatique qui l�accompagne souvent. Refusant jusqu�au � nom de
g�teau � dont il l�a affubl�e, elle n��pargne rien � son cr�ateur
et le tourne en ridicule, soulignant son ego d�mesur� et le traitant
de tous les noms : � pauvre escroc �, � petit imposteur
�, � petit baudet �, � salopiot �, � vieil
obs�d� �, � petit mac �� Pourtant, � mesure qu�elle le
malm�ne, Charlotte guide la plume de son � bel �crivassier � :
� Essaie de te borner � recopier la vie. La simplicit� est jolie.
�
Lacrimosa dies illa�
Si l�obscurit� envahit la plupart des pages de Lacrimosa, elle
ne parvient toutefois pas � �clipser le cynisme et l'humour qui
exercent un pouvoir absolu chez Jauffret. Dans son dernier roman,
l�auteur �voque sans ambages la plus brutale des morts et nous pousse
m�me � en rire, semblant nous rappeler par endroits un fameux
r�quisitoire de Pierre Desproges : � Oui, on peut rire de tout, on
doit rire de tout. De la guerre, de la mis�re et de la mort. Au
reste, est-ce qu�elle se g�ne, elle, la mort pour se rire de nous ?�
Son personnage revendique le droit d�utiliser le suicide de
Charlotte comme mat�riau romanesque : � Vous me reprocherez
bient�t de n�exister que dans ce livre. C�est un reproche que je
serais plus excusable de vous faire. [�] Je vous en voudrai
toujours de m�avoir quitt�, il y a des ruptures qu�on ne peut
pardonner.� Une nouvelle fois, Jauffret se joue de la forme.
Apr�s s��tre attach� � d�crire cinq cents fragments de la vie
d�inconnus dans Microfictions, il revisite le genre
�pistolaire et diss�que le statut d��crivain. Charlotte peut �tre
rassur�e. Bien plus qu�un simple personnage, elle se fait conscience
de l�auteur. Gr�ce � elle, Jauffret �vite les pi�ges des tournures et
des sentiments faciles et signe l�un des plus beaux romans de cette
rentr�e. Ellen Salvi
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