#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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inscription
d�sinscription
 
Munich, ann�e z�ro

 Apr�s-guerre
Gert Ledig
Zulma
Prix éditeur
16.00 euros

Deux ans apr�s Sous les bombes, remarqu� pour la
peinture r�aliste et crue qu�il offrait d�une Allemagne en prise
aux bombardements, les �ditions Zulma publient la suite ou le
contrepoint de ce r�cit fortement controvers� � sa sortie en
Allemagne en 1956.


Si les guerres mondiales ont et continuent de fournir leur lot
pl�thorique de mati�re romanesque ou documentaire, le lecteur
demeure relativement peu coutumier du point de vue
germanique sur cette p�riode. Exprim� de surcro�t par un
Allemand, il demeure une raret�. Question de d�cence
certainement, de respect de la m�moire des victimes
extermin�es par nombre de d�tenteurs de cette nationalit�.
C�est pourtant au sein de son propre pays que Gert Ledig s�est
vu opposer de nombreuses critiques lorsque est paru
Apr�s-guerre, onze ans apr�s la guerre justement. Pas
assez complaisant, trop pessimiste envers les m�urs et les
aspirations de ses concitoyens ? Le travail de deuil prend du
temps et les ann�es 90 lui ont r�serv� un accueil plus favorable,
qui nous permet � pr�sent � notre tour d�en prendre
connaissance. Outre sa provenance g�ographique, l�originalit�
de ce roman tient �galement � la p�riode retenue comme trame
de fond de ce r�cit dont l�inconnu qu�il repr�sente pour le lecteur
fran�ais est � la mesure de l�incertitude des destin�es des
protagonistes. Combats et d�portations nous ont en effet �t�
narr�s � maintes reprises. En revanche, l�imm�diat entre-deux
de l�occupation et de la reconstruction nous est moins familier.
D�o� le doute et le malaise qui pr�dominent.

Apr�s-guerre vraiment?

Automne 1945 donc. Les combats ont officiellement cess� mais
des r�sidus de conflits et s�quelles mat�rielles demeurent
�minemment perceptibles, comme autant de rappels de la
proximit� des �v�nements et de la nature per�ue comme "
ennemie " du lieu retenu. Munich d�ailleurs: la ville est nomm�e
et c�est une premi�re dans l�oeuvre de Ledig. Plut�t que les
somptuosit�s de cette m�tropole historique, ce sont les tr�fonds
d�un v�ritable no man�s land que l�on d�couvre. � l�image d�un
pays en perdition, cette ville semble vid�e de tout caract�re
urbain et humain, comme d�soss�e par les destructions et
l�occupation am�ricaine � laquelle elle est soumise. Aucune
amorce de reconstruction n�est encore pos�e ni m�me
envisag�e. Bien au contraire, " les Am�ricains ont enlev� les
noms des rues "
. Un d�tail parmi d�autres peut-�tre, mais
n�anmoins profond�ment r�v�lateur d�une volont� de faire table
rase d�un certain pass�.
Au sein de cet univers oppressant, plus proche d�une prison �
ciel ouvert (en t�moignent les fr�quentes d�marcations
marqu�es par des barbel�s) que d�un cocon protecteur,
surgissent donc quelques personnages d�boussol�s aussi
bien g�ographiquement que moralement, qui
s�astreignent � conserver un semblant d�activit�s sociales et de
poser les jalons d�une potentielle nouvelle existence. Le tout
dans une atmosph�re �touffante entretenue par un cadre
narratif o� se succ�dent des huis clos au sein d�espaces
relativement ferm�s. Probable avatar d�un r�cit initialement
pr�vu pour une adaptation th��trale, mais �galement outil de
mise en sc�ne profond�ment signifiant et r�v�lateur de la
persistance d�une tension sous-jacente.

" G�n�ration foutue "

C�est donc dans un tel cadre qu��voluent les rescap�s
munichois. Rescap�s d�ailleurs eux-m�mes parcellaires
puisque irr�m�diablement marqu�s et mutil�s par la guerre.
Edel le peintre y a perdu quelques dents et sa main droite en est
rest�e paralys�e. Son ami Robert, il y a laiss� deux doigts.
Quant � Hai, ses incessants trafics ne cessent de lui meurtrir
les jambes. �cho direct aux propres mutilations de Gert Ledig,
ces blessures symbolisent avant tout les stigmates d�un pass�
d�sormais r�volu qu�ils ne parviennent pas � surmonter. " La
guerre n�est pas finie pour Ha� . " Malgr� une sinc�re volont� de
d�passement d�un pass� national obscur, c�est en effet au
mode op�ratoire de la gu�rilla que les amis empruntent leurs
m�thodes de subsistance. Car dans cet univers en d�cr�pitude,
tout service se monnaye, et si une incontestable nostalgie du
sentiment affleure en chacun d�eux, le r�flexe et l�instinct
l�emportent. Alors, tandis que les jeunes femmes se prostituent,
les hommes trafiquent pour leur survie et complotent par
engagement.
Au-del� du pur instinct pourtant c�est bien de la reconstruction
morale des �tres dans un tel contexte qu�il est question.
Comment survivre, r�affirmer son humanit� et redonner un sens
� son existence dans une atmosph�re aussi d�l�t�re et alors
m�me que l�on est sans cesse consid�r� comme suspect et
�tranger dans sa propre ville ?
Les plus jeunes figurent �videmment en premi�re ligne de ceux
qui auront � porter le processus de
reconstruction-r�appropriation de l�identit� et du
territoire nationaux. Mais c�est bien l�ensemble des classes
d��ge qui se
trouvent pareillement d�munies et traumatis�es. Le peu d��tres
crois�s par Robert dans le cadre d��changes purement
utilitaires sont autant d��tres sans destins recroquevill�s sur les
spectres des proches qu�ils ont perdus mais dont ils esp�rent
obsessionnellement le retour. Ainsi, au-del� du parcours
particulier des trois personnages masculins, c�est bien du
devenir d�une nation d�boussol�e qu�il est ici question.

Sans complaisance aucune pour ses compatriotes (Ledig
lui-m�me meurtri par le conflit entretient l�ambigu�t� quant � la
nature de l�implication de Hai et de ses comparses dans les
camps de la mort), il s�efforce de souligner le caract�re malgr�
tout profond�ment humain de ces �tres. Imperceptiblement l�on
est conduit � s�interroger sur notre propre comportement dans
une telle situation. Tous les Allemands n��taient �videmment
pas des bourreaux ni m�me des complices du nazisme. Quant
� ceux qui l��taient, plut�t que de les stigmatiser de fa�on
manich�enne, demandons-nous dans quelle mesure ils
diff�raient des autres et ce qui a pu les faire basculer dans une
telle horreur et d�mesure ; ce qui est bien plus d�rangeant.
Telle est la force de ce roman qui parvient � d�passer le cadre
d�une situation historique extr�mement connot�e et du parcours
de trois hommes ordinaires pour sugg�rer en finesse des
r�flexions dans lesquelles il peut �tre b�n�fique de se plonger,
en mati�re d�engagement, d�attachement � la patrie qui peut
pousser l�homme dans ses retranchements les plus profonds
face � certaines circonstances extraordinaires, et m�me
d�existentialisme.

Apr�s guerre, donc, mais avant quoi ? Entre les non-dits du
pass� et l�incertitude de l�avenir, certains y laissent leur peau
tandis que d�autres, parvenant � renouer des contacts
constructifs avec leurs prochains, entrevoient une lueur d�espoir.
Nul fatalisme ni victimisation donc ; simplement humain.

Laurence Bourgeon



 
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