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Frankie Addams
| | Frankie Addams Carson Mc Cullers Livre de poche
| Prix éditeur 6.71 euros
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Chasseur toujours solitaire : le c�ur. Coyote de G�orgie. Silence br�lant de d�sarroi.
C'est dans une ville minuscule, un halo pauvre et d�sert pr�s de Winter Hill, dans un �tat am�ricain vraisemblablement oubli� par la gr�ce, que Mac Cullers plante son d�cor. D�s les premi�res lignes, la surprise prend corps : la narratrice, en empoigneuse de r�el, se propose de nous faire partager la petite histoire de Frankie Addams, une orpheline de douze ans dont rien � priori ne c�l�bre la destin�e. Mac Cullers a l'art bien consomm� et ma�tris� de dresser au couperet ces portraits psychologiques d'hommes et femmes de l'anonymat, ces personnages dont l'existence morne fait plut�t partie de celles que l'on redoute tant elles incarnent la poussi�re tombante du quotidien.
Seulement avoir lu et lire Carson Mac Cullers c'est accepter une �vidence : les mots ont ceci de remarquable qu'ils donnent de l'�paisseur au n�ant, de la consistance � l'in�vitable effilochage de vies lugubres et de l'int�r�t m�me � la douleur. Des blessures et meurtrissures accumul�es, le narrateur fait une histoire jamais trop voyeuse pour nous apitoyer ou jamais trop excessive pour nous conduire vers un enthousiasme feint.
Frankie Addams a perdu sa m�re et veut s'�chapper d'un univers morose, faire s'�brouer ses r�ves d'�vasion dans le miroir de cette avant jeunesse dont le beau nom est celui de l'enfance.
B�r�nice la vieille nounou noire sert alors d'instrument et de catalyseur � l'ensemble des frustrations ressenties. Elle r�pond aux attentes, rassure sur les incompl�tudes et s'�vertue � colorer cet univers comme seule une maman est en mesure de le faire. Le tout ponctu� par les gloussements h�sitants ou rires gargantuesques d'un John Henry West, pauvre h�re de l'abandon qui oscille entre l'�ternelle interrogation du g�nie anglais, l'�tre et l'avoir, le temps d'une chaude saison.
Entre ces atermoiements, que se passe-t-il ? Frankie tue un soldat qui avait tent� de forcer sans discourir l'inextricable intrigue du f�minin et doit revenir chez son p�re, penaude, et certaine de consumer une partie de sa jeunesse derri�re les barreaux d'une prison. Et le narrateur de d�crire avec une application quasi clinique les moindres faits et gestes piqu�s sur le vif de ce foyer miteux, les brass�es de m�mes des tristes jours, les cavalcades � souliers crott�s et les genoux couronn�s. La plume de l'�crivain alors seulement, sait, experte, se min�raliser, et les piliers du propos se figent pour laisser passer l'eau claire et nette de descriptions sans l'ombre d'une digression.
L'exactitude. Les existences d�crites par Mac Cullers ont les palpitations de ces petites choses instinctives et cruelles qui captent les exigences du public pour mieux les combler, en s'�chappant toujours, furets du pr�sent sans jamais repasser par la for�t belle. Des existences ennuy�es et ennuyeuses � en mourir, dont seul le dosage savant du narrateur souligne justement le path�tique et qu'ainsi, sans grands sentiments vides, Mac Cullers nous attache durablement � l'esprit.
Ca doit ressembler au talent. Si, si, vraiment.
Céline Mas
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