|
|
L'effet tsunami
| | Serpents et piercings Hitomi Kanehara Grasset
| Prix éditeur 11.00 euros
|
Surprenant de culot et de simplicit�, le roman culte de la jeune Hitomi Kanehara est bien plus qu�une invitation � l�exotisme tokyo�te : il fait surtout l�effet d�une bonne baffe�
On osait encore s�imaginer que la litt�rature japonaise �tait compos�e de jolis romans fleuris, de contes majestueux, ou d�histoires charg�es de symboles et de respect� Que nenni ! Si vous n��tes point sensibilis� � la culture nippone underground, la jeune Hitomi Kanehara, tout juste �g�e de 23 ans, s�appr�te � casser votre mythe. Son passage r�cent � Paris aurait d�ailleurs soulev� les passions : avec son physique de princesse et son regard d�ange, on a en effet quelque peine � l�assimiler aux tortures d�crites dans Serpents et piercings. Seulement voil� : Kanehara assume tout en bloc, et ce tout premier roman ne ressemble en rien aux caprices d�une Lolita Pille en mal de provocation. Bien plus qu�une sorte de revendication mal plac�e, ce r�cit d�sabus� s�apparente � une fiction qui puiserait ses racines dans des r�flexions pouss�es � l�extr�me. En d�finitive, la candide Hitomi fait l��loge du vide mais ne sombre pourtant jamais dans le sordide. Avide d�exp�riences constructives, elle pr�f�re simplement adopter d�autres questionnements, et d�crire des destin�es alternatives.
Car il ne s�agit pratiquement que de cela, au fond : de questionnements existentiels, de jeunesse d�senchant�e. Pour Lui, jeune japonaise sophistiqu�e, le quotidien n�est rythm� que par le n�ant� Le rien, le vide de tout. M�me sa rencontre avec le jeune Ama ne parvient pas � l�extirper de sa condition de � Barbie Barge � : quand l��me ne trouve plus aucune orientation, c�est le corps qui commence � s�exprimer � quitte � prendre une dimension plus autoritaire. Et c�est comme �a que Lui, du haut des ses dix-neuf ans, d�cide de s�adonner, corps et �me, aux modifications corporelles�
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos t�tes ?
Pour commencer, une seule obsession : obtenir par tous les moyens une langue fourchue, fendue, serpentesque. Ensuite vient l�obligation du tatouage, empreinte somme toute banale mais hautement symbolique pour Lui, comme pour Hitomi d�ailleurs : selon l�auteure, la peau ainsi marqu�e d�velopperait une nouvelle � �nergie corporelle �� Comme certaines personnes se blessent et s�automutilent pour enfin ressentir quelque chose, Lui se perce et se tatoue pour ne jamais oublier que son corps est une propri�t�. La domination morbide et sexuelle qu�exerce sur elle le tatoueur Shiba-San, dans le dos d�Ama, ne sera d�ailleurs qu�une simple continuit� � cette volont� d�outrepasser, toujours plus, les limites du corps : froide et lucide, Lui cherche � taire les cris de l�esprit sous la br�lure de l�enveloppe.
Les pages se succ�dent ainsi, et l�obstination ne faiblit pas : la langue doit �tre double, ou ne doit pas �tre. Le corps doit absolument �tre cette provocation, cette frivolit� affich�e. Il faut donc percer, agrandir, �largir, �carquiller, et trouer cette masse ambulante pour para�tre toujours en mouvement, en �volution constante. Quitte � jouir de l�irr�versible. Mais �a, Lui s�en fout comme de sa premi�re boucle d�oreille : tout ce qu�elle souhaite, c�est se foutre de la gueule du monde en en r�inventant les exc�s, et en affirmant les possibles d�une chair qui semble d�finitivement indolore.
Toujours s�re d�elle, mais troubl�e en permanence, la jeune femme avance donc dans la sph�re du manque et frise l�insupportable en continu � mais � force d�ignorer les vivants, peut-on r�ellement affronter la mort, quand elle frappe ? C�est dans ce tourbillon d�interrogations que nous laisse finalement Hitomi Kanehara, mais aussi dans une promesse d�avenir : ses superbes serpents siffleront encore longtemps dans nos pens�es. Sayonara. Julien Canaux
| | |