Musc Percy Kemp Albin Michel

Prix éditeur 13.57 euros

La vie de Monsieur Eme, ex agent de la DGSE, bascule le jour o� sa ma�tresse lui fait remarquer qu'il y a quelque chose de chang� chez lui : son odeur.

S'il n'a pas chang� de parfum, il s'av�re que son parfum, lui, a chang� : il n'est plus en effet fabriqu� � partir de la traditionnelle s�cr�tion des glandes abdominales du chevrotain en rut, mais � partir d'un ersatz chimique, plus rentable et plus vendeur. Or l'�l�gance et l'attention port�e aux moindres d�tails sont pour Monsieur Eme beaucoup plus qu'un moyen de s�duction, plus encore qu'un art de vivre, une raison d'�tre, voire, ce dont il va bient�t s'apercevoir, une condition n�cessaire � sa survie. Cet infime changement dans la composition chimique de son parfum, et la raret� soudaine de l'ancienne formule de ce produit cosm�tique, au sens �tymologique de "qui cr�e un ordre, qui organise", lui imposent leur n�cessit� : sa vie est d�sormais en sursis, elle est suspendue aux r�serves de Musc ancienne formule, qu'il a pu constituer�

Le r�cit tient � la fois de la psychopathologie de la vie quotidienne et de la partition parfaitement r�gl�e : plut�t qu'un roman, ce serait une �tude de cas clinique. Percy Kemp en a le style distingu�, efficace et froid. La mani�re dont il d�veloppe son personnage est quasi scientifique, ou musicale, comme on voudra : premier th�me, second th�me, variation et r�exposition. L'intrigue de m�me avance selon des n�cessit�s intrins�ques, physiques mais aussi m�taphysiques. Car pour Monsieur Eme le parfum, c'est l'�me, c'est son souffle de vie, sa psych�, tout en lui s'organise autour de son parfum. En d�coule une v�ritable philosophie du bonheur en contradiction avec le monde contemporain, c'est-�-dire en position de le critiquer. Si la vie ne tient qu'au fil t�nu du bonheur, la soci�t� de consommation a fait l'erreur de croire qu'elle pouvait lui donner une d�finition positive. Mais le bonheur, ce n'est pas de la chimie, l'exemple de Monsieur Eme le prouve : au contraire, le bonheur, c'est une alchimie, un secret, le miracle de la transformation olfactive de Musc sur la peau de Monsieur Eme, dont le nom se r�duit � la premi�re lettre de son �lixir de vie. L'humanit� incarn�e dans Monsieur Eme, c'est d�s lors cette authenticit� perdue de Musc.

Percy Kemp illustre ici une belle th�se : la sensorialit� humaine diff�re de celle des blattes parce qu'elle s'ouvre sur une sensualit�, sur un sens, sur une m�taphysique ; la r�duire � la biologie, c'est l'orni�re dans laquelle s'embourbe notre soci�t� marchande de moins en moins � m�me de satisfaire nos sens, certainement parce que cette part occulte, sacr�e de l'homme lui fait encore plus peur que son animalit�.

Joseph Legeleux