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A l��preuve de la m�moire
| | La m�moire vaine Isaac Rosa Christian Bourgois
| Prix éditeur 25.00 euros
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Une Espagne franquiste plus vraie que nature ressurgit sous la plume d�un Ib�re pourtant bien trop jeune pour en avoir lui-m�me souffert. Alors � quoi bon r�veiller les fant�mes d�un pass� si douloureux ? Peut-�tre justement parce que l�oubli serait plus dangereux encore pour l�avenir ?
Si l�Espagne a fait son deuil de la dictature, la plaie du pass� et les traumatismes laiss�s par l�ancien r�gime restent ouverts. Sinon, comment expliquer le besoin d�un jeune auteur de revenir sur une p�riode si r�cente qu�elle rel�ve encore � peine de l�histoire, et profond�ment obscure et d�rangeante pour un compatriote des Phalangistes ? Cette �quivoque qui place le franquisme � la limite de l�objet d��tude historique et du simple souvenir en fait un sujet d��criture id�al. Mais comment l�exprimer sans partialit� ni recourir aux lieux communs ?
Partant de la myst�rieuse disparition de Julio Denis (accessoirement pseudonyme de Julio Cort�zar), un professeur de litt�rature m�di�vale � l�universit� de Madrid, lors d�une manifestation �tudiante fortement r�prim�e, et avant d�embo�ter le pas � un jeune sympathisant communiste, Isaac Rosa questionne l�histoire ainsi que le devoir de m�moire et la potentielle contribution du romanesque � ces oeuvres.
A la crois�e des �critures
Si les faits divers alimentent nombre de romans et de sc�narios, certains sujets requi�rent un traitement plus m�ticuleux et prudent que d�autres, ouvrant sur une r�flexion plus large sur le rapport de l��criture � l�histoire en g�n�ral. D�entr�e de jeu, Isaac Rosa d�mystifie le processus de cr�ation litt�raire en ironisant sur une conception utilitariste de l�Histoire per�ue avant tout comme stimulant litt�raire. Loin des images d�Epinal maintes fois reproduites, Isaac Rosa puise dans les �v�nements oubli�s pour tenter de trouver la voix et le ton justes en prenant soin de ne jamais succomber aux clich�s. Mais au lieu de se contenter de nous communiquer le produit romanesque de ses r�flexions, il nous en d�voile toutes les �tapes de l��laboration. D�o� une oscillation et un t�tonnement apparent qui d�voilent les �tapes d�un v�ritable "work in progress" d�investigation historique et litt�raire.
Lecteurs en d�route
Lectrices, lecteurs, restez concentr�s et mobilis�s. Car la passivit� n�est pas de mise face � ce roman qui bouleverse les conventions narratives. Si distanciation il y a, c�est bien de la part de l��crivain lui-m�me, qui n�a de cesse de se questionner quant � la forme �crite la plus adapt�e pour traiter d�un tel sujet. En cons�quence de quoi le lecteur, lui, n�a droit qu�� un r�pit limit�. Tant�t apostroph� et moqu� quant � ses attentes convenues en mati�re de p�rip�ties et de psychologie, tant�t ballott� entre des genres aussi divers que l�encart historique, le rapport ou l�interview journalistique ou la notice encyclop�dique (car l��criture n�est pas l�apanage du romanesque qui se nourrit d�ailleurs amplement du reste).
Si l�on sort quelque peu d�concert� de cet ensemble labyrinthique et touffu o� pointe sans cesse l�ironie de l��crivain manipulateur, la cause en est un surcro�t d�honn�tet� de notre jeune prosateur, soucieux d��veiller les consciences de ses contemporains. Convaincu qu�il n�y a pas qu�une fa�on d��crire sur un pass� trouble et surtout que la v�rit� n�est pas si simple, il bouscule la bien pensance et les id�es re�ues les plus �l�mentaires, entrechoquant, � la premi�re personne du singulier, les paroles des opprim�s, des miliciens et de simples quidams, nous invitant � constater qu�aucune n�est d��vangile. Pastiche �rudit ou r�quisitoire contre la bonne conscience et appel efficace � la lucidit� et � la vigilance ? On h�site, un temps seulement, avant de mesurer la force de ce roman, puisque c�est ainsi qu�il est libell�, et se h�ter de le relire pour en d�crypter toutes les ficelles.
� Il y a des gens qui sont capables de traverser l�existence sans la marquer ni �tre marqu�s par elle. Je n�ai jamais compris cette extr�me discr�tion, cette attitude de quelqu�un qui semble vivre parce qu�il n�y a rien d�autre � faire. � Assur�ment, telle n�est pas la posture d�Isaac Rosa qui ne semble pas pr�t � se r�soudre au silence. Et ce n�est pas nous qui allons nous en plaindre. Car pour que la m�moire vive et ne flanche pas, c�est � de telles plumes que l�on souhaiterait pouvoir plus souvent se frotter.
Laurence Bourgeon
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