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Le crayon du charpentier
| | Le crayon du charpentier Manuel Rivas Gallimard
| Prix éditeur 14.94 euros
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La brutalit� revisit�e : la brute est une figure historique repoussante et fascinante � la fois. Manuel Rivas d�voile la v�ritable identit� de ceux qui ont fait le vingti�me si�cle dans l'ombre.
Herbal, tenancier de bordel, confesse son pass� de caporal de la garde civile de Franco � une prostitu�e au patronyme programmatique, Maria da Visita�ao. C'est en effet une personnalit� sujette aux Visitations, schizo�de, si l'on veut, qui se d�ploie au long de son monologue qui �voque les promenades nocturnes o� il fusillait les opposants au r�gime, les humiliations qu'il imposait � ses prisonniers, mais aussi les man�uvres qu'il d�ployait inconsciemment pour �pargner l'un de ses prisonniers, le docteur Da Barca.
Car paradoxalement, c'est lors de son engagement franquiste qu'Herbal, ce paysan obtus, a pu rencontrer parmi ses prisonniers des personnalit�s qui vont le hanter et susciter en lui l'�l�vation � une certaine po�sie, � une certaine finesse qu'il n'aurait pu atteindre autrement. Parmi ces personnalit�s, on compte tout d'abord le peintre au crayon de charpentier, fusill� durant l'un des paseos nocturnes dont on ne revient pas : l'esprit de ce dernier le visite ainsi r�guli�rement, et �veille sa sensibilit� esth�tique de m�me qu'il fait appel en lui � ce qu'il y a de plus humain, la compassion, le respect des personnes, l'amour de la beaut�. Mais la contrepartie, ce sont les Visitations de l'Homme de fer qui d�cha�ne en lui tout ce qu'il y a de plus brutal, qui l'impose comme un bourreau sanguinaire et sans piti�. Enfin, il y a la secr�te admiration qu'Herbal voue au docteur Da Barca, brillantissime et envo�tant intellectuel, un des opposants les plus farouches au r�gime franquiste, mais qu'Hebal ne pourra se r�soudre � tuer. La brute Herbal, ainsi visit�e et revisit�e, souffre la comparaison avec Sainte-Th�r�se d'Avila, la sainte mystique qui souffrait du m�me mal qu'Herbal, de cette schizophr�nie que le docteur Da Barca sait si bien diagnostiquer.
On fr�mit donc au fur et � mesure qu'on explore cette nature humaine faite d'horreur et de sublime. Le sublime, c'est ce sentiment complexe que l'on ressent au spectacle de l'histoire, et le roman explore pleinement et dans toute leur complexit� les probl�matiques �thiques de ce si�cle atroce qui est en train de mourir. L'�criture plonge dans la nuit la plus obscure de l'�me en m�me temps qu'elle ouvre cette obscurit� � des lumi�res mystiques. Dans l'espace irrationnel de ce for int�rieur, le souvenir est un engramme (une gravure dans notre cerveau) et la m�moire devient d�s lors cette suite de caract�res, un roman po�me, o� l'acte de langage n'est plus individualis�, o� il est visitation. Herbal est la brute inspir�e qui t�moigne pour ceux qui sont morts, et sa parole porte le chant des po�tes assassin�s. Sa confession est d'un lyrisme intense : elle tend � renouer avec le pass�, avec les disparus, avec l'autre monde. Elle est une dissection du c�ur, une analyse de la psych�, elle pose enti�rement la question de la nature humaine, de l'essence de l'�me.
Manuel Rivas assume ainsi pleinement l'h�ritage de la litt�rature hispanique : il tient � la fois de Saint-Jean de la Croix et de J. L. Borges. De ces racines est n� un fruit superbe, polyphonique, entre le surnaturel et l'horrible, entre l'ombre et la lumi�re. Joseph Legeleux
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