|
|
Situations d�licates
| | Hontes Robin Robertson Jo�lle Losfeld
| Prix éditeur 22.00 euros
|
Soixante �crivains anglo-saxons confessent l�inavouable dans une anthologie orchestr�e par le po�te Robin Robertson. Amateurs d�historiettes croustillantes, ne pas s�abstenir.
L��crivain est lamentable. C�est d�sormais chose certaine. Fini le � culte de l�intellectuel litt�raire � qui, si l�on en croit le romancier londonien, Louis de Berni�res, atteint en France � des sommets d�lirants �. Fini le mythe de l��tre hors norme, quasi immortel, qui sillonne, une coupe de Mo�t&Chandon; � la main, les soir�es mondaines des capitales europ�ennes. Fini le fantasme des admirateurs passionn�s qui attendent dans les salons du livre, des heures durant, pour faire signer l�ouvrage qu�ils ont d�j� lu trois fois et qui se bousculent dans les biblioth�ques pour �couter celui qu�ils consid�rent comme un demi-dieu. Oui, l��crivain est lamentable et, comme tout un chacun, il n��chappe pas aux petites tortures quotidiennes que sont le faux-pas, la b�vue, le malentendu � et � l�humiliation qui les suit de tr�s pr�s. Apr�s avoir personnellement �prouv� un nombre consid�rable de d�convenues, le po�te anglais, Robin Robinson, a souhait� recueillir les � confessions impudiques � et pour le moins jubilatoires de plusieurs dizaines de ses confr�res. En r�sulte une anthologie de situations burlesques qui reposent sur le contraste entre l�action et celui qui la subit : lorsque le raffinement intellectuel se trouve subitement rabaiss� face au regard d�autrui, on ne peut que sourire. Dans la postface de son anthologie, Robin Robinson explique l�essence de sa d�marche : � L�humiliation n�est pas, bien s�r, l�apanage des �crivains. Mais le monde des lettres semble pourtant pr�senter un microclimat on ne peut plus propice � la g�ne et � la honte. � En effet, nombreuses sont les occasions offertes aux auteurs pour se couvrir de ridicule : s�ances de signatures, tourn�es promotionnelles, s�minaires ou remises de prix sont autant de punitions inflig�es � ceux qui, ordinairement, restent enferm�s chez eux, assis � leur bureau.
C�est une honte !
Impossible de r�sumer ici chacune des humiliations �voqu�es dans Hontes. Nous retiendrons cependant la toute premi�re s�ance de d�dicaces de Margaret Atwood, install�e pour l�occasion, dans � le rayon des chaussettes et sous-v�tements pour hommes � d�un grand magasin canadien. Ou encore ce jour o� Patrick McCabe supplia la seule auditrice d�une de ses lectures de rester jusqu�� la fin, laquelle r�torqua qu�elle avait mieux � faire et qu�elle n��tait entr�e que pour se mettre � l�abri de la pluie. � lire aussi le r�cit ubuesque du po�te Matthew Swiney qui d�cha�na l�hilarit� g�n�rale au cours d�une rencontre publique lorsque l�une de ses dents voltigea hors de sa bouche pour atterrir aux pieds de l�assistance ; ou encore celui du romancier Alan Warner d�dica�ant � ses nouveaux voisins le livre d�un autre. N�allez cependant pas confondre les humiliations subies par les �crivains avec celles qu�ils s�infligent tout seuls et qui sont bien souvent le r�sultat de leurs propres d�bordements. Lorsque l�alcool vient se m�ler � certaines situations, le d�shonneur n�est pas loin. Michael Donaghy en a d�ailleurs suffisamment fait l�exp�rience pour se jurer de ne plus � m�langer alcool et versification �. Ajoutons tout de m�me que les anecdotes recens�es dans Hontes, aussi plaisantes soient-elles, se suivent et finissent par se ressembler. � quelques exceptions pr�s, les souvenirs de saouleries, d�exp�riences embarrassantes et d�orgueils bless�s sont sensiblement les m�mes. Ainsi, cet ouvrage n�est-il pas fait pour se lire d�une traite; il faut piocher � droite � gauche et savoir s�en garder un peu pour le lendemain. Le grand avantage de l�anthologie est de faire d�couvrir des plumes peu traduites et par cons�quent souvent m�connues du public fran�ais. Et, au vu des talents rassembl�s dans cet ouvrage, c�est bien au lecteur, cette fois, d��tre un peu honteux d�avoir ignor� pendant si longtemps le travail de ces auteurs. Quel sort que celui de l��crivain qui se d�m�ne entre ses hontes et l�ignorance du public ! A. L. Kennedy ne nous contredira pas, elle qui lance entre ironie et franc d�sespoir : � Curieusement, la calomnie la plus courante, d�une �l�gante simplicit�, n�est autre que ��crivain !� Ce qui tend � prouver que l��ducation marche bel et bien et qu�une g�n�ration tout enti�re a r�ussi � apprendre que traiter quelqu�un d��crivain est une grave insulte. �
Ellen Salvi
| | |