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Une vie � l��tat pur
| | Une puret� sans nom Laurent Dingli Flammarion
| Prix éditeur 23.00 euros
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Un premier roman volumineux, un r�cit sur fond de r�gime hitl�rien : la comparaison entre Une puret� sans nom et Les Bienveillantes est in�vitable mais s�arr�te l�. Dingli m�rite bien plus que d��tre noy� sous le ph�nom�ne Littell.
En lisant Un puret� sans nom, les cin�philes se souviendront sans doute du Docteur Caligari et de Cesare, c�l�bres personnages du Cabinet du Docteur Caligari, sorti en 1919. V�ritable manifeste du cin�ma expressionniste allemand, le film de Robert Wiene fut rapidement interpr�t� comme une vision proph�tique de la Seconde Guerre mondiale et jug� d�cadent par la censure nazie. On y d�couvre en effet l�inqui�tant docteur manipulant Cesare comme d�autres manipul�rent un peuple germanique aveugl� par le triste souvenir de la Grande Guerre et avide de revanche. Dans son roman, Laurent Dingli choisit de s��loigner des fous criminels, les Caligari, � les Hitler, les Staline, les Beria, les Goebbels �, pour s�int�resser � Cesare, cet �tre chosifi� qui ob�it sans sourciller. Sous sa plume, Cesare est n� � Munich en 1904, il est m�decin et s�appelle Maximilian Gruber.
Dans une longue lettre adress�e � son fils, le Docteur Gruber confie son histoire, ses doutes, ses cauchemars et ses espoirs d��us. � travers son r�cit se profile le destin de toute une nation. Orphelin d�un p�re mort peu de temps apr�s son retour du front, il grandit aux c�t�s d�une m�re castratrice qui exerce sa dictature domestique sur son deuxi�me fils atteint d�un mal sacr� qu�elle seule pr�tend comprendre. Au cours de son enfance et de son adolescence, le jeune Maximilian ne trouve refuge qu�aupr�s de son grand-p�re, propri�taire d�une grande librairie munichoise. D�s qu�il le peut, il fuit l�atmosph�re anxiog�ne de la maison familiale pour errer dans les rues de Munich puis de Berlin, o� il entreprend des �tudes de m�decine.
Il y rencontre Klaus, le fervent militant communiste, Johann, le futur officier S.S., Abel, le photographe gouailleur et bien d�autres : des juifs, des nazis, des rouges, des ath�es et des apolitiques, autant de personnages atypiques qui traversent son parcours initiatique et fa�onnent son esprit critique. En politique comme en amour, tous se cherchent et s��garent, in�vitablement : � Je revendique le droit d�errer, de me tromper, d��tre infid�le et m�me celui d��tre sordide. � Les femmes occupent une place consid�rable dans la vie de Gruber et dans le r�cit de Dingli. Tour � tour autoritaires, s�ductrices, myst�rieuses, douces et cruelles, ce sont elles qui tiennent les r�nes de l�Allemagne, � l�image du F�hrer, cette mar�tre omnipotente : � Hitler a dit que� Hitler a tout pr�vu� Hitler est au courant de tout� Ce sont les autres qui trichent, lui reste pur, infaillible. �coute tous ces grands enfants� Maman a dit que� Maman ne se trompe jamais� � Derri�re cette galerie de portraits, un seul d�cor : la guerre et ses funestes lendemains.
"Quand il eut pass� le pont, les fant�mes vinrent � sa
rencontre"
Le roman traverse l�invraisemblable trag�die que fut la premi�re moiti� du XXe si�cle : politique (remise en cause du r�gime r�publicain et mont�e du national-socialisme), �conomie (krach de 1929), sciences (recherches sur l�eug�nisme), culture (cin�ma, op�ra, litt�rature), fait divers (le Boucher de Hanovre), chaque �v�nement, du plus colossal au plus anecdotique, se voyant diss�qu� habilement par Dingli. Ainsi, loin de la langue s�che des manuels d�Histoire pour lyc�ens, l�auteur nous offre une plong�e hallucin�e dans le ventre putride d�une Allemagne � feu et � sang. Les images d�filent, parfois insoutenables, comme celles qui montrent toute la barbarie des pogroms : femmes viol�es, enfants assassin�s sous les yeux de leur m�re, hommes arm�s de lames de rasoirs poursuivant et massacrant d�autres hommes. Comme on r�dige un testament, Maximilian Gruber l�gue � son fils le bilan d�une vie, examine son pass� et celui de son pays pour essayer de saisir l�origine du d�sastre. Une puret� sans nom fait partie des livres que l�on referme le souffle coup� et cette �nigme viss�e � l�esprit : aurions-nous eu notre place sur la photo des anonymes � la passivit� coupable ?
Ellen Salvi
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