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Stratosph�rique
| | Cartographie des nuages David Mitchell L'Olivier
| Prix éditeur 23.00 euros
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David Mitchell a 38 ans, il vit en Irlande avec sa femme et ses deux enfants. Il est �crivain. Particularit� : produit des chefs d��uvres.
Quand les �crivains tricotent des fils narratifs, le r�sultat ressemble plus d�habitude � des cordes � n�uds qu'� de la dentelle du Puy. Pas David Mitchell. Les entrelacs sont apparemment une de ses sp�cialit�s. Mieux, sous sa plume, elles deviennent un manifeste esth�tique. Il porte � la perfection cet art du storytelling fait de continuums totalement disjoints : il avait d�j� mis le principe � l��uvre dans son premier roman Ghostwritten (Ecrits fant�mes, L�Olivier). Cartographie des nuages (Cloud Atlas, en vo) date, lui, de 2004, depuis Mitchell a pouss� le principe encore plus loin : son prochain roman, non encore sorti aux USA, narre une histoire japonaise � travers six micro romans ou "novellas", compos�s chacun de 18 chapitres. Neuf par les yeux de � gaijins �, �trangers, et neuf par des � nihonjins �, nippons. Le proc�d� n�est n�anmoins pas une recette : Number9dreams et Black Swann Green, qui seront certainement traduit en France juste un peu avant que la Lune ne s��crase sur la Terre, �chappent � ce sch�ma.
Si Mitchell n�aime donc pas faire simple, il ne tombe pas non plus dans l�amphigourique. Ce qui ne l�emp�che pas de chantourner sa narration comme un maitre verrier. Et plut�t que de servir une quelconque histoire d�amour, Mitchell se met au service d�une vision. Ca fiche un peu le tournis, d�autant que le Poulidor du Booker Prize � deux fois finaliste pour seulement quatre romans au compteur, bon ratio � voit loin et haut. L�extr�me intelligence de Mitchell est finalement de ne pas servir un roman � th�se. On se surprendrait bien � lui baiser les pieds pour ne pas nous avoir resservi le coup de l�humanit� qui � court � sa perte si on ne fait rien avant qu�il soit trop tard �, de l�uchronie frelat�e, de la post-apocalypse postadolescente, de l�amour plus fort que la mort et tutti quanti. Non. Rien de tout cela dans Cartographie des nuages, et pourtant tout y est. � pleurer de ma�trise, de style, de panache. C�est beau comme un concerto, poignant comme un ayre et ample comme une symphonie.
1+1+1+1+1+1+1=6
On saluera au passage le travail du traducteur qui ne doit plus avoir que deux poils sur la caillou pour avoir traduit le patois Morori ou la pr�ciosit� du journal de la travers�e du Pacifique d'Adam Ewing, deux des protagonistes de Cartographie des nuages. Parmi les six novellas qui composent cet Atlas. L�univers de Mitchell est � la fois pop et �litiste, h�t�roclite et dense : de nombreux personnages communs vont et viennent dans ses romans. Luisa Rey, la pasionaria, Thimoty Cavendish, l��diteur dessal�, pour ne citer qu�eux, apparaissent dans plusieurs de ses opus. � J�ai appris que le langage est aux exp�riences humaines ce que la spectrographie est � la lumi�re : chaque mot porte une infinit� de micronuances, une g�n�alogie� �, a-t-il d�clar� au Washington Post.
Plus que l�analogie des poup�es russes, pas tr�s satisfaisante dans la mesure o� aucune nouvelle ne contient une autre, celle de la lumi�re s�impose d�elle-m�me � cette Cartographie des nuages : longueurs d�ondes diff�rentes, oppos�es, superpos�es, polaris�es pour finalement n��tre qu�un rayon de lumi�re blanche et pure. Pourtant la pyrotechnie stylistique ne rogne jamais la narration, men�e tr�s strictement. Malgr� les apparences, la prose de Mitchell est nou�e de quelques principes m�taphysiques plut�t simples mais efficaces, comme la circularit� de l�Histoire, le rapport au Savoir. Un peu de Nietzsche, par ci, un peu de Jung par l�, pour son utilisation des arch�types. Mitchell cite Italo Calvino pour la structure mais aussi Jared Diamond, l�anthropologue de l�eschatologie connu en France pour son Effondrement. Et la r�incarnation� Mais rien de new-age, que les cart�siens se rassurent. Il aime brouiller les pistes : David Mitchell a �t� �galement nomin� pour le prix N�bula, un des prix les plus renomm�s pour... la science-fiction. Inclassable, on vous dit. C�est peut-�tre �a la litt�rature. Laurent Simon
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