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Tabula non rasa
| | Divisadero Michael Ondaatje L'olivier
| Prix éditeur 21.00 euros
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Un peu comme l�Hana du Patient anglais, cette Anna�ci se fait l�entremetteuse d�un r�cit o� celui de sa vie se trouve m�l� � celui de l��crivain � qui elle consacre ses recherches. O� tout rapprochement n�est pas totalement fortuit�
Ils formaient un trio atypique, d�apparence bancale et pourtant tellement solide. Anna, seule fille directe de ce fermier californien chez qui tous grandiront ; Claire, sa jumelle de naissance mais pas de sang, recueillie � la maternit� pour l��ter de la pauvret� de sa m�re-c�libataire ; et Coop, seul gar�on de cette prog�niture-mosa�que, adopt� avant que les deux � s�urs � ne voient le jour, et surtout avant le d�c�s de la m�re. Sous cette houlette patriarcale quelque peu biais�e, ils vont grandir, se c�toyer, se d�couvrir et s�affirmer dans une atmosph�re aussi apaisante qu�enrichissante. Claire apprivoise sa claudication en excellant dans l��quitation ; Anna d�couvre la vie lointaine en se plongeant dans des romans d�horizons divers ; tandis que Coop remplit son r�le de fid�le second masculin et aide le p�re aux champs et au moulin. Ce qui pourrait ressembler � une paisible petite maison dans la prairie perd toutefois de sa placidit� lorsque, � seize ans bien r�volus, Anna s��prend de Coop qui ne reste pas indiff�rent � ces marques d�affection. Lorsque le p�re s�en aper�oit, l��quilibre est violemment bris� et le noyau familial (� jamais ?) bris� et disloqu�.
Divisadero : Diviser ou distinguer ?
Lorsque l�on a tout perdu, comment se reconstituer un univers propre et le repeupler peu � peu ? C�est tout le d�fi qui se pr�sente � cette fratrie d�sormais s�par�e. Coop �pouse rapidement la marginalit�, trouvant dans l�univers du jeu un monde au sein duquel il peut cr�er ses propres r�gles (dans des limites certaines). Claire, plus conforme au droit chemin, s�efforce d�apporter l�assistance juridique aux plus d�munis dans un cabinet d�avocats de San Francisco. Quant � Anna, apr�s avoir fui ses racines, elle a opt� pour une carri�re de chercheuse et d�enseignante. Sans doute par passion. Mais certainement aussi parce qu�il est plus confortable d�exhumer les archives d��trangers que de se confronter � son propre pass�. Elle se plonge ainsi dans les traces et les cr�ations de l��crivain Lucien Segura, au point d�investir temporairement les terres qu�il a habit�es et de se lier avec certaines de ses anciennes connaissances. Car c�est elle, avant tout, que l�on suit dans un va et vient entre le temps de l�action, le temps de la narration et celui du souvenir.
L��ternel retour
Car � vouloir brouiller les pistes et effacer les traces de son enfance, elle ne fait qu�activer les r�sonances et les fulgurances de ce qu�il y a de plus intime et de plus crucial dans sa propre exp�rience. Par des �chos inconscients, elle r�v�le ainsi les �l�ments et les personnages fondateurs de son �tre, de ses choix et de ce qu�elle est devenue. Et cela sans aigreur. Car si elle est r�solue � ne plus les revoir, du moins jusqu�� pr�sent, elle ne s�emp�che pas de nourrir une certaine nostalgie � leur �gard et de leur souhaiter le meilleur avenir possible.
Une fa�on de t�moigner � quel point, m�me en prise � la plus profonde amn�sie, notre pass� ne nous quitte jamais et les plus belles rencontres demeurent ind�l�biles.
C�est d�ailleurs toute la force de ce r�cit que de convoquer des personnages de si�cles, d�occupation et de milieux diff�rents, mais qui, aussi solitaires ou introvertis qu�ils puissent para�tre, sont des �tres passionn�s. Un singulier optimisme �merge donc de cette lecture qui se double d�une r�flexion sur la m�moire, la transmission et l��criture litt�raire oscillant entre art de l�esquive et source d�introspection.
� L�art nous est donn� pour nous emp�cher de mourir de la v�rit� � disait Nietzsche sous les auspices duquel Michael Ondaatje a �crit ce nouveau roman. Plus qu�un palliatif, c�est un vrai morceau de litt�rature qui nous est offert. Laurence Bourgeon
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