Palermo solo Philippe Fusaro La Fosse aux ours

Prix éditeur 17.00 euros

On raconte qu�� Palerme, au d�but du si�cle, un baron a v�cu reclus dans la chambre du Grand H�tel et des Palmes. Sous le poids d�une vendetta fatale, il passait rarement le seuil de la 204. Rares �taient ceux qui l�ont crois�. Au point que certains doutent de son existence r�elle. R�alit� ou l�gende ?

Certains lieux sont mythiques. Ils peuvent avoir �t� le cadre de l�accomplissement d�un �v�nement historique majeur, accueillir quelque vestige architectural ou bien encore avoir �t� marqu� par le passage d�une c�l�brit� ou d�un �tre hors du commun. Dans le cas du Grand h�tel et des palmes, on se rapproche de cette derni�re tendance. Mais outre les escales r�guli�res du show-biz mondial en vadrouille ou en tournage, un atout atypique rajoute au charme et � l�attrait du lieu. Un certain baron y serait descendu un soir quelque part entre ses 20 et 25 ans pour n�en plus jamais ressortir, � l�exception du 2 novembre, le jour de la f�te des morts.
Si passer sa vie dans le lit d�un palace peut s�apparenter au paradis pour certains, elle �quivaut plut�t � une condamnation pour ce baron. Car si la Sicile est la terre du Gu�pard, elle est aussi celle de nombreux parrains et le baron, directement issu d�une de ces lign�es mafieuses, n�est pas rest� �tranger aux pratiques de ses a�n�s : lors d�une rixe qui a d�g�n�r�, il a battu � mort un jeune homme d�un autre clan. Un affront qui ne peut rester impuni. Or, dans ses milieux l�, on se rend justice soi-m�me. Afin d��viter l�issue fatale qui le menace en r�torsion, il s�octroie une derni�re libert� : choisir lui-m�me sa peine et l�endroit o� il la purgera. Ce sera Palerme. Les liens du sang et de la terre �tant les seuls qui le rattachent encore au monde, il ne peut consentir � quitter sa Sicile natale . Quant � la teinte de sa prison, il la choisira dor�e. Son nom : le Grand H�tel et des Palmes. Et le num�ro de son matricule : 204, celui de sa chambre.

Le prix de la libert�

Comble de la libert� ou perp�tuit� recluse ? Pass� un temps d�enfermement radical nourri par une parano�a lui faisant percevoir la t�te et le pas de son ennemi derri�re chaque porte, le baron se b�tit un chez-soi plut�t confortable, propice � la r�flexion, � la lecture et au jardinage (il cultive une plantation de citronniers sur son balcon). Tout laisser-aller est n�anmoins banni. Puisqu�il a r�ussi � sauver sa peau, autant en prendre soin. Le barbier de confiance demeure d�ailleurs longtemps la seule personne autoris�e � passer le seuil de la 204. Jusqu�au jour o� le baron ose s�aventurer au restaurant et c�toyer le monde, � d�faut de le fr�quenter r�ellement.
Car � vivre reclus, le temps s��tire, se dilate, au risque que toute notion du r�el disparaisse. Le baron s�y reconnecte par intermittence, au gr� de l�actualit� des c�l�brit�s qui les am�ne � investir l�h�tel, mais souvent � distance� De Luigi Pirandello � Al Pacino en passant par Michel Leiris ou encore de touchants anonymes, les rencontres ont �t� l�gion. Mais de r�cidive, aucune. Jusqu�� ce qu�un jour, il croise une femme avec un air d�Ava Gardner qui va bouleverser sa vie.

Pour celui qui, aux yeux du plus grand nombre, n�est qu�un fant�me, rien de plus naturel qu�il ne s�entiche d�un fantasme. Celle-ci semble bien r�elle pourtant. Mais suffira-t-elle � agr�menter sa vie au point de lui permettre de faire de vieux os heureux ? Car � quoi bon s�agripper � la vie si c�est pour l��dulcorer ? Dans sa chambre de luxe, le baron est certes sain et sauf, mais pas � l�abri de l�oubli et pas suffisamment misanthrope pour appr�cier totalement son statut d�ermite. Tel est le dilemme auquel Philippe Fusaro confronte son personnage, sans jamais le juger pourtant. Quelles que soient les atrocit�s qu�il a pu commettre en premier lieu � qui demeurent tr�s floues - , il parvient � nous attacher profond�ment � cet homme dont la force n�est qu�apparente. Il �labore un r�cit original et touchant qui, l�air de rien, pointe les questionnements qui habitent le plus modeste des humains : le poids du temps, le rapport au monde et aux autres ou encore l�importance du patronyme qui ne se fait jamais autant sentir que lorsque sa mention en devient proscrite.
Oscillant entre la lecture des �tats d��me de cet homme sans �ge et les observations des rares personnes qui l�ont rencontr�, l�on suit ce parcours � plusieurs voix. Une construction on ne eut plus ad�quate pour un homme dont l�essence m�me est la rumeur et le � on-dit �. Etre ou ne pas �tre, telle est bien l��ternelle question.

Laurence Bourgeon