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Le malheur indiff�rent ?
| | Chaos calme Sandro Veronesi Grasset
| Prix éditeur 21.00 euros
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Chaos calme, un parfait oxymore pour un roman qui n�a rien d�un lourd exercice de style. Survol � la fois grin�ant et touchant d�un apprentissage du deuil en apn�e dans les faubourgs milanais.
Pietro devrait �tre le plus malheureux des hommes. Lara, sa femme, vient de mourir, le laissant seul avec Claudia, leur fille de dix ans. Disparition d�autant plus dure qu�il n��tait pas � ses c�t�s lorsqu�elle s�est produite, occup� qu�il �tait � sauver la vie d�une riche h�riti�re sur le point de se noyer. Il pourrait culpabiliser, s�interroger sur l��trange simultan�it� de ces deux �v�nements, �tre assailli par ces sentiments et ces questionnements qui sont les pendants habituels de la mort d�un �tre proche. Et pourtant, aucune douleur ne semble le tirailler.
� Ca va arriver ? Ca va arriver? �, ne cesse-t-il de se r�p�ter. Il l�a tellement lu, vu et entendu. Il re�oit tellement de t�moignages de compassion et de messages de condol�ances. Ce qu�il vit et traverse actuellement ne peut �tre qu�insupportable. Bien plus que la fusion qui menace l�entreprise qui l�emploie, risquant de provoquer des licenciements en masse. A sentiment inattendu, r�action inattendue donc. Anticipant le travail de deuil qu�il devra, il n�en doute pas, bient�t entamer, il met sa carri�re professionnelle entre parenth�ses et d�cide de demeurer pr�sent 24h sur 24h aux c�t�s de sa fille. Celle-ci �tant n�anmoins, et normalement, scolaris�e il dresse le camp devant son �cole et l�imagine, l�observe, veille sur elle en pens�e sur le si�ge de sa voiture gar�e avec soin devant les grilles. Cette posture n�a rien de temporaire. Toute l�inventivit� de Sandro Veronesi tient en ce qu�il installe dans la dur�e cette posture qui pourrait n��tre que temporaire. Ce retrait, ce recul devient un v�ritable mode de vie pour Pietro, au point qu�il va peu � peu faire partie du paysage.
� We are all accidents waiting to happen �
Et c�est incroyable le nombre de choses qui peuvent se produire � rester immobile dans sa voiture. Au grand d�sespoir de ses coll�gues et � la grande surprise de ses proches, pas question pour lui de s�ennuyer. Il fait de sa voiture non pas un lieu de recueillement mais un poste d�observation id�al du voisinage de l��cole primaire de sa fille devant laquelle il reste post� toute la journ�e, sans interruption entre le moment o� il la d�pose le matin. Dans l�expectative, attendant, comme un Vladimir ou un Estragon, on ne sait quelle r�v�lation ou que la bulle de sa souffrance n��clate, Pietro devient le t�moin le plus inform� de l�activit� du quartier. C�est alors Perec qui prend le relais de Beckett. Comme l�auteur de Tentative d��puisement d�un lieu parisien assis � la terrasse d�un caf� de la place Saint-Sulpice, Pietro dresse des listes, questionne ses souvenirs et observe les micro-�v�nements du pav� milanais. Par un curieux effet comique, le jeune veuf qu�il est se voit converti en confesseur de la ville. Tr�s vite, la solitude le c�de en effet � la foule et aux rendez-vous quotidiens. Sous couvert de venir prendre de ses nouvelles et de lui apporter quelque soutien, ses coll�gues de bureau, son fr�re, sa belle s�ur, certains passants et m�me un grand patron inconnu d�filent sur la banquette de sa voiture pour lui confier leurs doutes, leurs frustrations et leurs col�res.
Derri�re cette confrontation des discours et des situations se cache une r�flexion touchante mais jamais lacrimale sur le deuil, la normalit�, et la standardisation des sentiments dans un monde o� l�humain le c�de de plus en plus aux logiques �conomiques de profit et les diverses n�vroses qui s�en suivent.
Car la mort n�est ici qu�un pr�texte, un moment �piphanique par excellence particuli�rement propice � la confusion de sentiments. Si Pietro est un temps perturb� par la certitude d�avoir r�tabli le contact avec sa femme � travers les chansons de Radiohead qui lui semblent s�adresser �videmment � lui alors qu�il n�en avait jamais saisi le sens auparavant, son �garement semble minime en regard du chaos global qui semble frapper le monde alentour. Partir du particulier pour atteindre un g�n�ral que seule une grande ma�trise romanesque rend possible, voil� ce que Sandro Veronesi accomplit, m�nageant de nombreux rebondissements, avec un savant m�lange d�humour et de tendresse pour ses personnages que l�on a rapidement l�impression de conna�tre tant leurs craintes et leurs d�faillances sont proches des n�tres. Laurence Bourgeon
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