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L'effacement du monde
| | L'effacement du monde Eric Pessan La Diff�rence
| Prix éditeur 15.00 euros
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Qui ne s�est jamais senti martien, exception extraordinaire de l�ici-bas ? Qui ne s�est jamais pens� hors de la normalit�, incapable d�en faire partie � nouveau, malgr� le sinc�re d�sir d�y revenir ?
Car ce monsieur banal � p�re et homme au foyer mod�le � d�couvre un beau matin qu�il est affect� par un mal �trange : il ne sait plus lire, plus �crire. Plus parler. Et le mal semble aller en s�empirant. Que lui arrive-t-il ? L�enjeu du roman n�est pas l�explication de l��v�nement, comble de l�absurde, mais plut�t un focus sur les vaines tentatives de recomposition d�un langage. Le narrateur �crit donc un journal intime qu�il esp�re compr�hensible, tentant de retrouver les correspondances alphab�tiques entre ce qu�il cat�gorise comme ancienne et nouvelle langue. Peine perdue, il se d�couvre prisonnier du silence, car le mot, la lettre, sont les seules cl�s du monde, les seules grilles de lectures pertinentes � la disposition de l�homme. Sa fille de trois ans ne le comprend plus. Sa femme, prof de lettres �m�rite (et chercheur sur les th�meq de la disparition/ellipse dans la construction litt�raire), met du temps � saisir l��tranget� de la situation, puis s�effondre face � ce nouveau mari, redevenu insoutenablement juv�nile. � En un sens, ma perte du langage a la beaut� d�une id�e d�enfant �. Cette description d�une descente forc�e et intime de type Babelien est tout � fait in�dite.
Bien entendu, certains d�ploreront le manque de p�rip�ties du d�roulement de l�histoire, la monotonie qui par cons�quent guette son d�veloppement et la r�p�tition de quelques propos.
Mais L�effacement du monde est un tr�s bon roman. Un sujet pour le moins original, trait� avec une grande � et on insistera sur ce terme � ma�trise de style. Eric Pessan poss�de un calme formulatoire pour le moins expressif, une �puration de construction qui a le m�rite d�abolir tous les pi�ges des textes essentiellements constuits autour des perceptions du Je. Sans perdre de son enthousiasme tout en restant dans le minimalisme ici de rigueur, il d�cortique on ne peut plus clairement le nouveau rapport au monde de son personnage, et son esp�ce de p�lerinage aux sources du verbe. La tournure est toujours vive, pas un brin surcharg�e ni pesante, m�me lorsqu�il s�agit de sentiments ou encore de descriptions d��v�nements objectivement dramatiques.
Enfin, n�en revient-on pas � chaque phrase � et sans que jamais la lassitude n�y fasse poindre le bout de son nez � � une des id�es les plus belles et porteuses de ce premier roman, � savoir ce besoin vital de communication et de compr�hension de chacun ? Le livre est � lui seul un �loge du mot, du langage, de la r�union-rencontre des sensations et des pens�es, sans lesquels l�existence se r�v�le �tre un circuit ferm� invivable, un enfer de solitude.
Et comment ne pas fondre devant le t�moignage de cette facult� perdue, et face � la nouvelle relation p�re-fille, r�invent�e gr�ce � la musique et aux ber�euses, seuls outils rescap�s de l�architecte improvis� ?
J. L. N.
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