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Double vie
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     | Prix éditeur 20.00 euros
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La Chine des ann�es 30. Sur fond de troubles sino-japonais, un homme et une femme se rencontrent autour d'une partie de go. Deux sexes, deux mentalit�s, deux nations ennemies. Deux voix qui se relaient, se tressent, se s�parent, Shan Sa donnant la parole tant�t � l'un, tant�t � l'autre pour parler du quotidien, de l'enfance, du temps pr�sent. D'une part, une coll�gienne passionn�e, avide de libert�. " Poitrine plate et cheveux nou�s en deux tresses, elle porte en elle l'ambigu�t� de l'adolescence qui fait des filles des gar�ons travestis. Cependant, la premi�re f�minit� pointe en elle comme le perce-neige d'un printemps pr�coce : ses avant-bras ont une rondeur indolente. " D'autre part, un militaire japonais d�vou� corps et �me � l'Empereur et envoy� en Mandchourie pour la gloire imp�rialiste. Charg� par un sup�rieur d'observer les joueurs de go de la place des Mille Vents, il y rencontre " la Chinoise " et engage une partie qui le m�nera bien plus loin qu'il ne le croit.
La Joueuse de go rappelle, par sa structure binaire et ses th�mes (un soldat et une jeune femme que tout oppose, des liens qui se passent de mots, l'initiation � l'amour, la vie, un autre monde), le premier roman de Shan Sa, Porte de la Paix C�leste. Mais ce qui �tait encore un peu sch�matique, voire bancal dans cet ouvrage, est ici d�velopp� et enrichi. Et ce qui pourrait n'�tre qu'un proc�d�, l'alternance de deux monologues, cr�e une dynamique : les m�mes faits mais deux esprits, deux visions, deux pass�s. Le roman adopte la forme d'une partie de go, cherchant � cerner des �mes qui s'explorent sans un mot, sans un geste. Car " la grandeur " de ce jeu, selon l'auteur, vient de ce que " le langage [y] est banni ". La classe, la nationalit�, tout ce qui fait le masque social, s'efface, et des �tres qui n'ont rien commun peuvent ainsi se rejoindre, �chapper aux carcans habituels : " Comme un fant�me, elle s'�loigne de la rivi�re et sort du bois. Dehors, sous la pluie, toutes les rues se ressemblent, toutes les rues sont d�sertes. Dans le noir, tant�t trait, tant�t virgule, la jeune fille m'attire vers un autre monde. "
Cette histoire de d�couverte de l'autre mais aussi de soi-m�me, d'initiation sexuelle et sentimentale (la premi�re n'allant pas forc�ment de pair avec la deuxi�me), est port�e par une langue qui rappelle parfois, dans ses accents pr�cieux, Les Quatre Vies du Saule, le second ouvrage de l'auteur, o� deux destins cherchaient �galement � s'�pouser tout au long d'un roman dont le ton tenait de la l�gende et du conte chinois, mi-fable philosophique, mi-r�cit po�tique. Shan Sa a des images raffin�es, le trait d�licat, et aime � faire ressortir quelques d�tails qui composent une mani�re d'estampe : " Les cigales poussent des cris stridents. L'odeur des feuilles br�l�es par le soleil se confond avec le parfum de mes cheveux. Dans une jarre qui sert d'aquarium, une carpe pirouette. " Elle ne tombe pas pour autant dans les pi�ges de la joliesse gratuite et int�gre un contexte politique et historique qui irrigue les actions et r�actions des protagonistes, donne une toute autre port�e � certaines m�taphores : " La Mandchourie ind�pendante nous isole du reste de la Chine. C'est une usine de douceur o� les vers � soie tissent leurs cocons d�licats avant d'expirer dans un bain bouillant. " En filigrane des jeux de l'amour, des man�uvres des uns et des autres, plane une angoisse diffuse, li�e � la r�sistance chinoise face � l'occupant japonais, aux soubresauts nationaux, aux cruaut�s de l'arm�e nipponne.
Mais La Joueuse de go, contrairement, dans une certaine mesure, � Porte de la Paix C�leste, n'est pas un roman engag�. Tout au long du r�cit court l'id�e que pour se combattre, voire se d�truire, mais aussi se compl�ter et s'aimer, il faut �tre deux. C'est ce vers quoi nous tendons, le d�but et la fin de toute chose dans une existence que certains m�nent � marche forc�e. " "En ce monde nous marchons sur le toit de l'enfer et regardons les fleurs." Seule la contemplation de la beaut� d�tourne un militaire de son obstination. "
Minh Tran Huy
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