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Art de la fugue
| | Art de la fugue Alain Roeher Ph�bus
| Prix éditeur 12.96 euros
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Le narrateur, dot� comme nous tous d�un nom qu�on ne d�couvrira pas dans le r�cit, raconte la c�cit� de sa m�re. Il endosse un harnais de cuir, et, � la mani�re des chiens encha�n�s, la conduit dans la vie, parmi les innombrables obstacles des trottoirs embrum�s de ceux qui savent o� ils vont.
Que saura-t-on de l�existence de ce petit bonhomme ? Le noir et la lumi�re, les grands-parents qui d�clinent, les allers-retours incessants du p�re. Le cirque et l�op�ra, o� l�aveugle continue � se rendre ; enfin l�exp�rience de la t�l�vision, achet�e pour le seul plaisir d�entendre ces images qui manquent. Par les yeux de l�enfant, en service � plein temps aupr�s de celle qui a perdu les siens � par accident �, on assiste � une juxtaposition de plans qui ont tous une intensit�, au cours du d�roulement de ce qu�on pense ne pas �tre une intrigue : des analyses visuelles �tonnamment vivaces de peintures et d�images, la neige presque odorante du jardin, l��motion face au petit J�sus d�une cr�che d��glise, cette atmosph�re hivernale du salon vide, les couleurs indescriptibles des rues chahutantes. On obtient alors un grand tableau de fresques dynamiques, sans aucun commentaire suppl�mentaire sur l�extraordinaire �motion qui secoue pourtant violemment tout le texte, qui le parcourt en sifflant de haut en bas comme un grand vent du Nord incontr�lable.
Une forme stylistique nette et reposante, r�guli�re, mais qui �volue sensiblement au rythme des ann�es v�cues par le conteur. Et c�est l� l�une des grandes forces du roman d�Alain Roeher. Non pas que l�enfant s�exprime comme on pourrait l�attendre d�un enfant, avec les �nergies immatures qui lui sont propres. Ses explications et ses perceptions, sans jamais para�tre restreintes, sont cependant celles qui correspondraient � l��ge de raison. Huit ou neuf ans maximum, et une forme de platonicit� issue du manque d�exp�rience. Mais vient le temps de l��volution, petit � petit, comme si de rien n��tait, et l�on se retrouve soudain dans un regard adulte, sans doute plus dur mais pas indiff�rent, paradoxalement plus lyrique.
On appr�ciera �galement la finesse des inversions : l�enfant posant des yeux nouveaux sur le monde via la c�cit� de sa m�re, ce m�me enfant qui dirige leur duo dans l�espace mais qui est conduit dans le temps par l�handicap�e, tout symboliquement harnach� qu�il soit. Un encha�nement � une probl�matique de taille (mais dont on ne dira rien, l�objet du roman n�est pas l�), que le narrateur refuse de voir ou de comprendre, dont la souffrance ni�e se fait devient invisible.
Magnifiquement bien ficel�, ce texte. Si la construction peut surprendre, on a malgr� tout ici un court m�trage qui se d�roule et se r�enroule sans mauvaise coupure, qui commence et se termine dans la surprise, voire l��bahissement. Art de la fugue, c�est tout un art de l�ouverture et du final ; un �quilibre qui est loin d��tre du domaine de l�acquis en litt�rature. J. L. N.
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