Les Fleurs du silence Nathalie Rheims Flammarion

Prix éditeur 11.43 euros

C'est dans son troisi�me texte Les Fleurs du silence (�ditions Flammarion) que Nathalie Rheims s'explique, boucle la ronde d'une trilogie commenc�e il y a trois ans avec L'un pour l'autre (paru aux �ditions Galil�e) et Lettre � une amoureuse morte (Flammarion).

Th�oricienne du vide, po�te de l'absence, la jeune femme nous offre dans Les Fleurs du silence la possibilit� de comprendre le pourquoi de ses �crits ("�crire pour ne pas mourir"), de percevoir quelques pans d'elle-m�me � travers des lignes d�di�es � d'autres, lignes qui font d'une exp�rience � la fois intime et universelle un sujet ind�niablement litt�raire.
Certaines souffrances cherchent � boucher les trous et les plaies avec de l'argent, avec de la nourriture, dans la d�mesure. Avec des gloires faciles, du sexe � outrance. Nathalie Rheims fait le plein avec le vide, comble le silence de la disparition des aim�s avec des mots, ces mots qui ne sont rien, ces mots impalpables et a�riens, �th�r�s, mais qui donnent un sens � tout.
L'�criture comme objet le plus d�pouill� et le plus emplissant, le plus nu et le plus vrai.
Et on saisit alors le vide, le manque, ce long cri seul et suspendu qui d�j� frappait dans L'un pour l'autre et revenait nous marteler dans la Lettre.

Il �tait question dans le premier ouvrage de substitut : le rem�de � la douleur du deuil est l'enqu�te sur un autre deuil. Veuve de son fr�re, l'�crivain exorcise sa disparition brutale en entrant dans l'intimit� d'un autre fant�me : celui de Charles Denner, acteur, mort trop vite et tout aussi brutalement que Louis. Une plong�e dans le connu et l'inconnu, � travers la rencontre des proches de Denner, � travers des films et des photos. Voguant d'une amputation � une autre, Nathalie Rheims se lib�re ainsi d'un membre bless� qui l'emp�chait d'avancer.

Approfondi plus tard dans Les Fleurs et d�clin� sous un mode diff�rent, Lettre d'une amoureuse morte met en forme - donc entame un processus d'incarnation - ce th�me cher � l'auteur de la non-incarnation de l'�tre aim�, de la d�sincarnation de l'amante rest�e seule, des flots d�sordonn�s de l'amour sans destination physique. Chaque page s'ouvre sur un morceau de coeur, sur un message, sur un po�me intense et intens�ment clos, prisonnier de lui-m�me, mais qui fait partie int�grante de cette longue lettre aux palpitations audibles. C'est bien d'un corps dont Nathalie Rheims parle, de son corps vibrant mais froid, agress� par une ombre myst�rieuse : qui est ce "elle" qui vient troubler nuits et r�veries ? Une ma�tresse, une autre amante plus forte ? Ou simplement l'absence qui la d�chire et l'emporte comme une adversaire ?

La compr�hension aussi bien �motionnelle qu'intellectuelle du deuil, l'angoisse et la douleur de l'absence �clatent dans Les Fleurs du silence. Plus question de s'arr�ter sur un soulagement provisoire, l'aimante s'ent�te, continue et parle, �crit, laissant toute l'�motion s'infuser en elle pour mieux la surmonter. Apprivoiser au lieu de chasser le vide de ce coeur solitaire, apprendre � aimer son propre effacement : telle est l'initiation, car on n'est jamais plus proche de soi et de la vie qu'en fr�lant la mort et en la fixant droit dans les yeux.
Maurice Rheims envoie des fleurs � sa fille, bouquet de conseils prononc�s par une voix d'outre-tombe, la cl� : m�moire, car il faut se souvenir et raconter pour clore, pour retrouver le silence de la paix. Pour avoir le droit de se taire. Nathalie Rheims esquisse donc un portrait de cet homme tant aim�, pour le fixer, l'immortaliser, et le quitter. Laisser d�finitivement une peau d'enfant bless�e et donner place � la femme.

Une �criture d�licate, d'une sensibilit� lancinante. Nathalie Rheims a taill� dans un roc d'�motion une oeuvre p�trie de sinc�rit� et de pr�cision ; une statue masculine aux traits profond�ment doux.
La violence des retours et des leitmotivs de L'un pour l'autre, ainsi que le cis�lement de la langue du d�sespoir de Lettre d'une amoureuse morte peuvent enfin trouver leur aboutissement dans cette luminosit� proche de la vie, de la mort et de la re-naissance que diffusent comme un parfum Les Fleurs du silence.

J. L. N.