La Double Conversion d'Al-Mostancir Hubert Haddad Fayard

Prix éditeur 15.00 euros

Une maladie peut conduire � la perte de la vie... ou � celle d�une vie pour en conqu�rir une autre. Ce n�est donc pas Saint Louis qui mourut de la peste en 1270, � Tunis, comme l�indiquent les livres d�histoire. � l�heure du tr�pas, le roi s�est �clips�. La derni�re tentation de Saint Louis narr�e comme un conte.

M�lancolique, Louis sait qu�il a une opportunit� de quitter cette vie qu�il n�avait jamais choisie. Lui, l�amoureux du Verbe, de la pens�e et des voyages avait �t� fait roi au nom du P�re, de sa m�re et des lois de son pays. Il avait gouvern�, conquis et m�me men� une huiti�me croisade pour convertir Al-Mostancir, sultan de Tunis. Dans la chaleur de cet �t� 1270, aux portes de la ville, Saint Louis agonise sur son lit de cendres. Mais quand le berger Sa�d, qui lui ressemble tant, vient mourir dans ses bras, il comprend qu�il tient l� son propre cadavre et l�occasion de changer d�existence. Sa�d abandonn� sur le lit, une d�pouille royale sera offerte aux yeux du peuple.

Libre quant tout le monde le croit mort, Saint Louis part se r�fugier dans une grotte proche de Carthage. Pour m�diter. Mais il sera plut�t assailli par les messages oniriques, les acc�s de fi�vres et les rem�morations cruelles. Quand il se rappelle la mort de Tristan, dans le noir des ge�les tunisiennes, Saint Louis n�est plus que Louis : un p�re pleure alors la mort de son fils.

M�me si Hubert Haddad se r�f�re � de grands �v�nements et met en sc�ne des personnages essentiels de la France cap�tienne, La double conversion d�Al-Mostancir n�est pas un roman historique. Il n�est pas non plus uchronique : rien n�est dit sur ce qui se serait pass� si ce qui s�est pass� (la mort de Saint Louis) ne s��tait pas pass�... ok ?

Roman d�aventures ? Au gr� des rencontres, Louis ma�trise son destin ou se laisse manipuler, alliant m�me les deux postures dans l�ultime rebondissement. Roman d�analyse ? Hubert Haddad met son r�cit au service d�une investigation psychologique sur l�homme cach� derri�re l�ic�ne. Douleur d�une enfance incomprise, malheur ordinaire d�un couple bancal, questionnement sur la vanit� de la vie : autant de souffrances que l�on sent proches des n�tres. Tout ceci gr�ce, notamment, � la m�diation d�un concept contemporain, inconnu au XIII�me si�cle : le subconscient. Et Saint Louis de devenir notre fr�re quand, dans le vieux d�bat entre Dieu et Freud, il choisit ce dernier : "incapable de prier, il sombre plus bas dans l�inconscience".

Initi� au Coran par une belle jeune femme, Louis deviendra finalement Sa�d, mystique soufi. Et les manifestations de son subconscient se feront de moins en moins pr�sentes dans le r�cit. � la place, une incompr�hension constante chez Louis qui voit les gens le v�n�rer comme un mufti. Que de chemin parcouru pour en arriver l�, dans une errance symbolique de ses questionnements int�rieurs !

Dans la prose po�tique d�Haddad, c�est la m�me voix qui raconte les aventures de Louis et qui donne acc�s � ses tourments. Une langue onirique entrelace r�alit� et divagations int�rieures et ce qui est une exploration psychologique se donne � lire dans une atmosph�re d�envo�tement. Inspir�es du folklore m�di�val, les comparaisons savent rendre perceptibles les n�vroses du sujet, comme avec ce dragon qui vomit avant de boire � la fontaine. Les p�riodes �pousent les longueurs de l�errance et les m�andres de l�inconscient. On s�y perd m�me parfois avec d�lice : � les limbes sont peupl�s de gr�ces s�raphiques et des sanies d�un autre monde �. Haddad le po�te exploite toutes les potentialit�s de la langue fran�aise, allant chercher le sens rare de mots courants ou, parfois, en employant le mot, le bon, ici et maintenant. Au milieu de ces labyrinthes syntaxiques, des questionnements �ternels, parsem�s comme autant d�aphorismes interrogatifs : "Quel enseignement un homme perdu doit-il attendre du hasard ?"

D�j�, dans Le Pont renvers� (nouvelle du recueil Mirabalia, publi� en 1999), l�auteur avait trait� du remplacement d�une personne par une autre avant sa mort. Mais l� n�est pas le sujet de La double conversion d�Al-Mostancir, o� le roi agit "sans r�fl�chir". Haddad n�expose aucune motivation du geste de Saint Louis mais se sert de celui-ci comme du pr�texte � une �tude empathique. Celle d�un �tre nomm� Louis, n� en 1214, humain, trop humain.

Olivier Stroh