#112 - Du 14 octobre au 05 novembre 2008

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Dobryd

 Dobryd
Ann Charney
Sabine Wespieser
Prix éditeur
20.00 euros


Rien. Le noir. Le silence. Et puis le bruit. "C�est bon. Ce sont des Russes. J�en suis s�r" murmure Alexandre. Et la lumi�re. Deux ans et demi pass�s dans le fenil d�une grange, la malnutrition, l�immobilit�, la peur les avaient r�duits � l��tat d�"�tres moins qu�humains". Parce qu�ils �taient juifs dans une Pologne occup�e. Parmi eux, une petite fille avait cinq ans quand elle v�cut cette lib�ration. Elle en a d�sormais soixante-et-un.

En 1996, Ann Charney, canadienne, publie le roman de son enfance, Dobryd, traduit partout dans le monde et sept ans plus tard en France. Description m�ticuleuse des probl�mes quotidiens dans un pays exsangue, s�rie de portraits, anecdotes conf�rent une dimension documentaire � ce r�cit. C�est le retour � Dobryd, anagramme du nom r�el du hameau polonais quitt� en 1941. Comme si le bouleversement des lettres, dans ce nom invent�, refl�tait la r�alit�, d�truite, implos�e, du village v�ritable... C�est le charbon aval� pour ne pas �tre malade. C�est la mort du cousin Alexandre, ex�cut�, et la folie de sa m�re, poignard�e en elle-m�me. C�est l�antis�mitisme, vaincu dans les trait�s mais toujours latent, qui accule Ann et ses proches � la fuite : Dobryd, Bylau, Varsovie, �tapes d�une errance qui s�ach�vera au Canada.

Mais la main de l�adulte retranscrit aussi, sans dolorisme, les sentiments de l�enfant, sa lecture du monde. Staline n�est pas cit�, absente est la Guerre Froide. � la place, on a peur d�une inconnue, on se r�jouit de l�arriv�e du po�le dans la maison, on d�couvre le sucre comme le simple soldat d�� l�ouest rien de nouveau, on joue avec les autres gosses. De l�horreur l�innocence triomphe. D�posez l� vos raisonnements sur cette p�riode et entendez la fillette : "Pendant que je m�immergeais totalement dans l�exploration du monde des enfants, des jeux, des rues, de la place du march�, elles �taient revenues � la vie".

"Elles", c�est-�-dire sa m�re et sa tante, gardiennes d�une histoire familiale synonyme de paradis perdu. C��tait avant. Ann d�couvre que ces femmes, all�gories de la souffrance, avaient �t� heureuses au sein d�une famille paisible. � l��poque,"les possibilit�s de la vie semblaient infinies". Mais les id�es d�abondance et de bonheur, les "grands seaux de roses sauvages" qui parfument les r�cits familiaux de la tante se heurtent au mur du temps, irr�versible : c��tait avant. Si ces �vocations projettent la petite Ann dans un monde o� pass� et pr�sent cohabitent, l�auteur anticipe sur les effets de ces d�couvertes : "ces histoires ne voulaient pas dispara�tre de ma m�moire et, parfois, leurs trames se m�laient � celle de ma vie".

Par ses courts chapitres, le roman d�Ann Charney �pouse la perception du temps par une petite fille : parcellaire, morcel�e. Les �pisodes de cette vie se succ�dent chronologiquement, enrichis d�observations enfantines et d�amorces de r�flexions. Au chapitre 8 de la quatri�me partie, n�cessaire mais inattendu, le retour sur les ann�es pass�es dans le fenil �claire de son obscurit� cette enfance d�apr�s-guerre. "Un r�ve � moiti� effac�". Ainsi, dans le New Yorker du 19 juillet 1999, l�auteur explique-t-elle le choix du genre litt�raire : "j�ai choisi d��crire un roman parce que (...) je ne faisais plus confiance � la pr�cision de mes souvenirs factuels". Selon le mot de Gide, "peut-�tre approche-t-on de plus pr�s la v�rit� dans le roman" (Si le grain ne meurt, I, 10).

On retient de Dobryd qu�Ann y fut heureuse, malgr� tout. Et la langue polonais nous aide � entendre la proximit� sonore entre le nom fictif du village de Dobryd et le mot dobrze qui signifie bien. Comme un message d�livr� par Ann Charney en couverture : " finalement, c��tait bien". La valeur documentaire de ce livre n�est cependant pas � n�gliger et l�on sent une obligation morale � prolonger soi-m�me l�une de ses r�flexions essentielles : pourquoi une famille juive, men�e par un grand-p�re exalt� dans sa soif d�int�gration, a-t-elle �t� trahie par la communaut� ? Obsession qui doit habiter l�auteur, selon les mots de son livre. Mais l�adulte est-elle apais�e ? Ann Charney est-elle revenue en Pologne, pr�s de Lvov, dans un village dont l�anagramme est Dobryd ?

Olivier Stroh



 
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