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Petit d�jeuner chez Tyrannie (suivi de Le cr�tinisme alpin par Pierre Jourde)
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     | Prix éditeur 16.00 euros
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A bien regarder le macrocosme litt�raire fran�ais pourrait nous
prendre l�envie de relire La guerre des boutons de Louis
Pergaud, "observateur savoureux de la vie des b�tes [...] et des
m�urs paysannes" comme il est �crit dans l��dition 1989 du
Petit Larousse, ainsi que l�int�grale de la s�rie culte des ann�es
80, � savoir l�in�narrable Dallas. Nul besoin de faire de
comparaisons h�tives ici, il suffit juste de regarder l�original, et
presque tout y sera. Mais ne mettons pas de l�huile sur ce feu
qui n�est ni de Dieu ni de paille, mais plut�t de pacotille et sans
cotillons pour les uns, et d�urgence spirituelle et d�int�grit�
bafou�e pour les autres qui signent l� un second volet en
r�ponse aux premiers qu�il n�est plus besoin de citer (au moins,
tout risque de proc�dure juridique sera �cart�).
"Et c�est reparti pour un tour !" s�exclamerait n�importe quel
trublion � l�humour un peu absurde. Mais le trublion � qui nous
avons affaire s�appelle Pierre Jourde, et il a la v�rit� de
l�intelligence � ses c�t�s, telle un chien de garde beaucoup plus
redoutable que les tentatives de censure exerc�es sur eux,
c�est-�-dire sur le trublion en question et la v�rit�. Car le mot
v�rit� est m�me un peu trop fort dans le cas pr�sent : � l��re de
l�autofiction, pourquoi ne pas parler tout simplement de r�alit� ?
Dans son ouvrage intitul� La litt�rature sans estomac,
l�auteur-trublion s��vertue juste � d�crire une situation donn�e.
Comme en un rapport qui serait plus m�ditatif qu�administratif.
Mais il ne faut pas confondre m�ditatif et m�disant : tout est l�.
Dire le mal serait donc m�dire, pour certaines personnes dont il
est question dans ce livre paru � L�Esprit des P�ninsules
au printemps dernier. Soit. La linguistique est une science
parfois d�routante, n�importe quel universitaire un peu sens�
vous le dira, surtout quand on s�attarde sur le comportement de
certains individus qui se permettent de faire d�vier le sens plus
vite que la musique, surtout quand l�air ne leur pla�t pas. Quitte �
devenir orduriers, dans la plus factice des bonnes fois.
Eh oui, c�est �a aussi, le milieu litt�raire fran�ais, ces petites
escarmouches dont n�aura jamais vent, par exemple, untel
jeune de banlieue trop occup� � suivre des s�ries t�l� aussi
insipides que peuvent �tre ingrates ses conditions de vie. C�est
v�rifiable : r�soudre le probl�me d�alcoolisme du p�re ainsi que
le deuil du grand fr�re qui finit ses jours en prison, sans parler
de la d�pression de la m�re qui s�ensuit, tout cela existe
�galement, m�me si on nous r�torque que �a sonne rudement
m�lo, voire path�tique (" C�est bon pour un t�l�film ou un long
m�trage de Ken Loach, moi je n�y peux rien, j�ai ma vie qui me
pose d�j� pas mal de probl�mes vous comprenez, etc. " pourrait
r�pliquer n�importe quelle personne sans compassion). Et
m�me chez les fran�ais moyens, voire chez ceux qui ont un peu
plus de moyens, para�t-il que le malheur peut s�vir. Alors les
infortunes de ceux qu�on n�oserait citer nous poussent � sourire
avec indulgence. "On croit r�ver", diront les gens de bon sens.
Eh non, ce n�est pas un r�ve, c�est �crit noir sur blanc, en cent
six pages par Eric Naulleau, et en quarante-sept par Pierre
Jourde. Laissez-vous inviter � ce petit d�jeuner, m�disez, euh
m�dites, euh non, m�ditez sur la condition humaine et allez
marcher un peu partout, parmi les rues et les faubourgs. Prenez
la temp�rature de l�air ambiant, qu�il fasse froid ou chaud, vous
verrez, la b�tise r�ussit toujours � envahir un peu l�atmosph�re.
Mais il est une riposte qui fait mouche, c�est l�esprit critique. Et il
faut croire que la critique est devenue une p�ninsule peu visit�e,
o� pourtant poussent de beaux fruits de raisonnements et,
oserons-nous ce mot, allez, oui, d�intelligence. Nous
apprendrons ainsi que la critique n�est pas forc�ment le fruit de
l�aigreur, mais peut tout aussi bien provenir "de l�envie de
s�amuser, de l�irrespect, de la col�re devant de fausses valeurs
ou tout simplement du d�sir de donner son avis", ce qui, pour
toute personne au Q.I raisonnable, est une �vidence (p. 141).
H�las, certains forcent Pierre Jourde � l��crire ; c�est vrai, on
avait t�t fait de l�oublier, notre esprit critique, vu l�aplanissement
et l�affadissement de l�autre PAF, le Paysage Artistique Fran�ais
(il n�y a pas que la t�l�vision qui aurait droit � son paysage).
Pierre Jourde donne son opinion et voil� comment certains,
malgr� eux, puisqu�ils s�affichent victimes de viles accusations
(l�aspect de vilenie n�engage qu�eux, et le terme accusation a
vite fait de remplacer l�id�e de constat), nous font oublier que
nous vivons dans une R�publique, et que d�autres nous le
rappellent avec comme seuls soucis la probit� et l�int�grit�,
valeurs l�g�rement en voie de disparition ces derniers temps. Il
serait donc judicieux de lire, dans la foul�e, les �uvres du
m�me ordre : Le cadavre bouge encore, collectif sous la
direction de Pierre Bottura et Olivier Rohe, Chronic�art/L�o
Scheer, 2002, Le Pari litt�raire, Editions Esprit, 1994, et
Qui a peur de la litt�rature ?, du m�me Jean-Philippe
Domecq.
Toutes ces histoires de d�tractions peuvent ainsi donner lieu �
une saga d��pisodes de plus en plus rocamburlesques, surtout
quand les diffam�s usent � leur tour de diffamation (le concept
de "correspondance priv�e" comme preuve imparable risque de
faire des �mules : attention, d�autres pourraient s�en servir...
Mais la col�re, souvent due � une culpabilit�, ne perturbera pas
leur sagesse : ils n�en feront rien). Tout cela sent la stupidit� de
la discorde, �clair�e par les auteurs qui n�en voulaient pas
autant et qui ont le m�rite de signer leur engagement dans ce
combat presque truqu� � leur insu. Car finalement les lecteurs
du journal cit� dans leur texte continueront d�acheter leur
quotidien avec l�int�r�t du lecteur-voyeur qui sommeille en eux,
alors que Naulleau et Jourde r�vent d�un lecteur-voyant, tout du
moins �clair�. Tout cela se passant loin du r�el o� se d�bat le
jeune de banlieue dont nous parlions, loin du r�el de la plupart
des citoyens qui n�en sont plus vraiment puisqu�ils s�en fichent
pas mal, de tout cela, notamment de la probit� et de l�int�grit�
de ceux qui les informent. Ils ont d�autres chats � fouetter, c�est
un fait, mais ceux dont il est question dans ce Petit
d�jeuner valent tout de m�me le d�tour pour mieux revenir �
la r�alit�.
Et la r�alit�, c�est bien � la mode (t�l�visuelle, entre autres),
pourtant ? Notamment pour ceux qui aiment s�en servir (surtout
celle qu�on invente... "Tout est vrai puisque je l�ai invent�" disait
Vian) pour la rendre encore plus r�elle, proche de nous, avec ce
joli regard de Gorgone qui cherche � nous p�trifier. Pas de
chance, elle pue de la gueule en ce moment et certains
poss�dent encore le r�flexe salvateur de tourner le visage, et de
nous le dire.
Richard DALLA ROSA
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