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L'Infante
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     | Prix éditeur 14.00 euros
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Que celui qui a dit que l�enfance n��tait pas le plus bel �ge de la vie se l�ve et s�avance. L�Infante lui fera la le�on. �g�e de sept ans, fille de la Reine-M�re et du Roi-son-p�re, cordonnier de son �tat, l�Infante "sera souveraine d�ici". D�s la premi�re ligne, tout est dit : la confiance dans les possibilit�s infinies de la vie avec le futur simple, l�assurance de soi avec le verbe d��tat et le nom de "souveraine", l�unit� de lieu avec l�adverbe "ici" qui cache la tonnelle de glycine, le jardin de ses parents, le village de Loir-et-Cher et le fleuve mitoyen. Car sous la maison de l�Infante coule la Loire, personnage � part enti�re du roman.
Dans son premier roman, Fran�oise benAssis met en sc�ne une fillette (elle ?) tr�s "langu�", selon les termes de sa propre m�re. Comprenez : "impertinente", "insolente", "effront�e". La fillette intervient dans les conversations, r�pond � ses royaux g�niteurs et fonde d�j� sa vie sur des pr�ceptes aussi p�remptoires qu�attendrissants : "Le pouvoir � sept ans, c�est �tre sous la tonnelle du jardin du devant". Mais elle est d�abord une enfant, comme les autres quand elle s�amuse ou d�couvre l�amour, � part quand elle se confie � la Loire et consacre tant de temps � la lecture. Jusqu�� attirer l�attention de son instituteur qui la m�nera jusqu�au concours d�entr�e en sixi�me. Dans ces ann�es d�apr�s-guerre, la m�ritocratie r�publicaine permettait aux infantes de basse condition de s��lever socialement. Dans ces villages de province, la radio permettait d��couter �dith Piaf chanter, � la famille Duraton de vivre et � Dien Bien Ph� de tomber un certain mois de mai 1954. Autant d��vocations de cette France des ann�es 1950 qui introduisent du r�el dans cette histoire d�Infante... ou qui replacent L�Infante dans la r�alit� historique...
Car telle est bien l�une des r�ussites stylistiques de Fran�oise benAssis : les trois personnages principaux du roman ne sont jamais nomm�s autrement que par leurs titres royaux. L�on oublie parfois le cadre de leur vie, leurs actions quotidiennes... jusqu�� ce que la Reine-M�re use de son parler rocailleux ou que le Roi-son-p�re soit surpris � b�cher son jardin. Belle r�flexion en mouvement sur l�acte de nommer les personnes et les choses, dont l�importance ne tient parfois qu�� leurs nom et titre. Et l�on se souvient que l�Infante �tait d�j� tr�s pr�occup�e par l�acte de "nommer les choses et les gens".
Mais ces appellations participent aussi � l�ironie attendrie du livre. La plume de l�auteur garde le sourire en coin quand elle se souvient de son anc�tre, utilis�e pour �crire � la Reine d�Angleterre, � l��ge de sept ans. Elle se fait pr�cise quand elle �voque les relations entre l�instituteur et le cur�, le la�c et le croyant. Elle recueille, dans de courts chapitres o� alternent bonheur et gravit� ("Les robes d�un jour" �tant le plus abouti de ce point de vue), des anecdotes aussi d�cousues que vraies dans leur ton. Des tranches de vie, dont les bornes ne semblent pas choisies innocemment : l�Infante a sept ans au d�but du roman, l��ge de raison selon les grands ; elle en a quatorze � la fin, le vrai d�but de l��ge m�r pour elle, apr�s avoir �t� confront�e � l�amour et la mort. Vous souvenez-vous du jour o� vous compr�tes que tout le monde allait mourir ?
Le narrateur de L�Infante est anonyme, omniscient. Mais son r�cit adopte parfois les postures, accompagne souvent les r�actions de la fillette, si bien que l�on rapproche l'Infante � benAssis. C'est alors que deux chemins se croisent. Une adulte se rappelle une jeunesse. On se rappelle Proust. La France des villages et des tableaux noirs : on se souvient de Pagnol. Le minimalisme des sc�nes, de courts chapitres idoines et l�on se d�lasse... Une Infante que l'on d�guste benAssis.
Olivier Stroh
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