|
|
Portraits de Claire en bleu marine
| | Portraits de Claire en bleu marine Philippe Séguy Fayard
| Prix éditeur 13.00 euros
|
Philippe et Claire habitent Neuilly. Seul point noir : c'est difficile
de trouver du pain comme on veut, � Neuilly. Une maternelle, un
coll�ge, un lyc�e, public ou priv�, �a ne pose pas de probl�me.
Preuve en est l'amour �duqu� de Claire. Philippe, lui, n'a
connu ni Saint-James ni Sainte-Croix ni Saint-Dominique ni
Sainte-Genevi�ve, alors il n'aime pas comme il faut.
Gloire � lui : il doute. Dans la nostalgie de son enfance pass�e
en Savoie, il songe � la vie qu'il n'a plus : Sarkozyland
manquerait-il d'authenticit� ? Quoiqu'il en soit, il ne manque pas
d'esprit bourgeois.
Dans une r�cente interview pour la sortie de La Fleur du
Mal de Claude Chabrol, Nathalie Baye d�clarait : "Il vaut
mieux vivre en bourgeois avec une mentalit� d'artiste que de
vivre en artiste avec une mentalit� de bourgeois". Et parce que
l'histoire de Philippe S�guy tient en deux lignes, on ne pense
qu'� �a : que pense l'auteur du milieu qu'il d�crit ? Lit-on du
Philippe Chabrol (qui tiendrait donc toujours du Chabrol) ou du
Claude S�guy ? Si quelques dr�leries path�tiques feignent une
satire de la bourgeoise chiante ("Quand elle mange, elle ne
pense pas. Claire, � quoi penses-tu. A rien, je mange. Elle
mange souvent."), S�guy se laisse aller � l'aphorisme du terroir,
plein de mauvais sens commun : "les femmes ne comprennent
d�cid�ment rien aux hommes", "mais personne n'est parfait",
etc. Philippe (le personnage... distinguons) craint le recul
comme le prol�tariat : maintenant qu'il a chass� son vieux
d�mon de la France d'en bas, son pass� se limite � la
r�miniscence passive. Terrible frustration : pourquoi Philippe
manque-t-il de panache ? Les hommes d'aujourd'hui sont-ils
d�soss�s ? S'y complaisent-ils ?
On lui conseillerait De la rupture de Matzneff pour qu'il
apprenne l'esth�tisme et l'espoir conjugu�s des d�parts. Quand
une petite valise prise dans l'armoire n�cessite une attention
particuli�re pour n'emmener que le minimum. Quand on prend
un post-it, pr�s du t�l�phone, et qu'on ignore la magnifique
puissance de quelques mots, comme "je m'en vais". Mais
Philippe, malgr� le recul de l'�criture, n'explore rien des petites
choses qui font de la vie � deux une situation insupportable.
Tout juste �voque-t-il le bruit de la chasse d'eau, par ailleurs
emprunt�e � Albert Cohen. Cependant, n'en concluons pas que
S�guy est un tricheur : d'une part, personne n'est � l'abris de la
mi�vrerie de l'amour et d'autre part, quelques brefs passages,
comme la mort fantasm�e de Claire et la noyade imaginaire du
chien, ont le m�rite de faire sourire. Certes, pas autant que cette
fantastique anecdote de ce Portraits de Claire en bleu marine
: on y boit du Coca. On y mange de vrais l�gumes, on se
souvient de son cat�chisme, des chorales, des hosties qu'il ne
"fallait pas m�cher", mais Philippe, r�volt�, boit du Coca. Seul
acte de r�sistance � un conservatisme latent : une d�lectation
de bobo rat� pour la boisson gazeuse. Et oui, la libert�, pour
Philippe, c'est encore l'Am�rique !
Toutefois, on ne saurait lui en vouloir : � Neuilly, Sarkozy a
boucl� les boulang�res pour racolage passif : les baguettes
phalliques faisaient d�sordre. Et malgr� sa sinc�rit� dont on ne
doute pas (son amour pour Claire n'a rien de plus vrai), S�guy
fait de la litt�rature comme on fait ministre de l'int�rieur. Avec un
peu de foi, pas mal de labeur, et beaucoup de factice... (pour
magnifier le labeur). En somme, un roman de citadelle qui ne
regarde rien, pas m�me son nombril.
Ariel Kenig
| | |