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Les jours s'en vont je demeure
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     | Prix éditeur 14.00 euros
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Quand il cr�� Yves Saint-Laurent couture au d�but des sixties (il n'a que 31 ans), il pose une pierre meurtri�re dans le jardin du mauvais go�t. L'�l�gance fran�aise allait triompher, et il ira jusqu'� errer dans l'ombre des lettres en transformant le prix Novembre en prix D�cembre. Les jours allaient s'en aller... pendant que lui, il demeurerait.
S'il ne se r�clame pas des g�nies, Berg� les a soutenus, participant de pr�s � la construction d'un si�cle aussi terrible que ces huit pages consacr�es � son ami-amant Bernard Buffet. "Pendant plus de quarante ans il cultiva tous les malentendus, tenta bien des �vasions, rechercha sans cesse des rep�res qui n'�taient plus les siens, qui avaient �t� ceux d'un adolescent efflanqu�, disparu depuis longtemps, apr�s lequel il courait dans une fuite en avant d�sesp�r�e." Portrait d'un fatalisme lucide, on se demande qui, du si�cle ou de l'homme, a influenc� l'autre. Pour la plupart "de leur temps", toutes ces personnalit�s avaient toutefois gard� un pied d'avance, jusqu'� Mitterand faisant "confiance � la post�rit�" comme "il avait fait confiance � la religion". "Agnostique revendiqu�", comme le qualifia par le pass� le quoitidien Lib�ration, Berg� choisit la bri�vet� parabolique pour rendre compte de ce temps qui fut le sien. De Cocteau � Warhol, chaque portrait s'offre comme un magnificat sage.
Tout d'abord le Giono de Manosque, fils d'un p�re au m�me pr�nom, le petit Pierre restant "troubl� de le voir vivant devant la tombe du mort o� son nom �tait grav�". Puis le Cocteau de Radiguet, "prisonnier des entrelacs de l'intelligence, de la culture, du talent". Beaucoup d'hommes (et YSL en d�dicace), mais quelques femmes, aussi, comme une obligation par rapport au Saint ma�tre Laurent. Un enchev�trement dans le domaine r�serv� du couturier. Apparaissent Louise de Vilmorin, "le sourire arr�t� dans sa course comme on le voit dans certains portraits de Gainsborough", Chanel et Schiaparelli se cr�pant le chignon de la mode, ou encore la Duras, possessive, m�galomane et malheureuse qui avoua � notre chroniqueur mondain de luxe : "Autrefois on se branlait sur Brigitte Bardot, aujourd'hui c'est sur Duras". Mais la crudit� rapport�e n'est pas gratuite. Sainte Marguerite en sort plus palpable.
Si l'on �voque souvent la col�re et l'autoritarisme de l'homme de finance et de pouvoir, on ne peut reprocher � Berg� le verbiage. Ceux qui en disent le plus en savent le moins (et c�toient la vulgarit�), alors que lui, ombre errante, n'ignore rien de ses sujets. Et cette impression �trange d'une vie ne souffrant pas la m�diocrit�. Les jours s'en vont... est comme une fuite infinie vers le haut et le beau. D'une �criture simple, histoire de ne pas r�veiller les morts, ces portraits in�dits m�ritent une attention toute particuli�re : mis bout � bout, ils sont une m�taphore pudique du XX �me alors que la c�l�bration des v�pres du si�cle dernier commence � dater.
Ariel Kenig
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