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Cahier d�ubiquit�
 | | Cahier d'ubiquit� Yann Kerninon �ditions Hermaphrodite
     | Prix éditeur 16.00 euros
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� Pour un humain, [l�ubiquit�] consiste � penser et � vivre tous
les domaines de la vie et de la pens�e �. Ainsi parle la
quatri�me de couverture du Cahier d�ubiquit� de Yann
Kerninon, dada�ste microbien, lecteur de Nietzsche (qu�il a
compris, � la diff�rence de certains qui ont d�voy� sa pens�e),
adorateur d�Hundertwasser, penseur du bas (l� o� l'homme se
trouve) parce que le haut est bien trop haut(ain).
Vingt-trois textes mis bout � bout auraient pu n�offrir qu�une
pens�e-kal�idoscope o� l�auteur se serait successivement
int�ress� au cyclisme, � l�architecture, � la procr�ation et � un
certain 21 avril. Mais Yann Kerninon expose d�s les premi�res
pages son but et sa d�marche, quand une pens�e par le � je �
permet d�appr�hender le sort des autres, quand une telle
r�flexion conduit au refus de se soumettre au
post-esclavagisme moderne, quand la lucidit� sur une vie
condamn�e � la mort n�emp�che pas de vouloir enchanter
chaque minute de celle-ci.
Un implacable constat
L�auteur appr�hende donc les domaines les plus divers de la
vie, avec pour ultime posture: � garder en vue la mort � lucidit�
totale � et la sale gueule du monde tel qu�il est devenu, mais
aussi et pourtant continuer la vie �, c�est-�-dire la transmettre �
un enfant (� De l�enfant �). Mais l��lan a beau �tre entra�nant, le
constat est implacable : les fondements de notre monde sont
ceux du cynisme cach� derri�re le � s�rieux technologique � (�
Pour un dada�sme microbien �), croisement hybride entre un
totalitarisme mou h�rit� de la noirceur du XX�me si�cle et une
propagande sur l�utilisation � par la soci�t� � de tout homme.
M�me l��cole a abandonn� ses Lumi�res en renon�ant � former
des citoyens pour modeler des travailleurs adaptables au
march� de l�emploi.
Singuli�re mais prot�iforme, cette pens�e peut engendrer des
�crits aussi diff�rents et n�anmoins convergents que � Amor fati
incarn� � et � Exp�rience chaos � : quand le premier r�cit donne
� lire l�explosion po�tique op�r�e par le cerveau de l�auteur,
dans l�implacable atmosph�re d�une agence ANPE, le
deuxi�me d�nonce la perte indolore, par chacun, de sa capacit�
� r�ver... c�est noble, un r�ve... mais si, un r�ve, souvenez-vous...
ce qui ber�ait vos nuits avant que vous ne mettiez un genou �
terre face au rouleau compresseur de la spirale norme sociale -
travail - fa�ade maritale...
Po�sie de l'inutile
Comparant notre rapport au monde � celui de nos a�euls de
1914, Kerninon pr�ne donc une r�volte contre le tragique,
identique � celle du dada�sme. D�brancher la goutte-�-goutte de
l�anesth�siant ambiant et, debout, fier, conqu�rant, redevenir
capable de faire � n�importe quoi, n�importe quoi, n�importe quoi
! �. Affirmer son droit � �tre inutile, � ne pas servir (surtout la
machine sociale contemporaine)... en un mot, � �tre po�tique.
Comme ces deux moiti�s d�abat-jour, abandonn�es dans
l�orgiaque Foire de Paris, plus insolentes et essentielles que ce
� D�r�gulateur [� la majuscule si ridicule] hyperlaxe sans
phosphate pour �laguer les enclumes �.
Ayant r�ussi � desserrer, par des micro-actions, l��tau de
l�utilisable (jamais loin de la servitude, voire de la servilit�),
l�homme se lib�re de son attribut du sujet : il est, sans
�tre utile. Il peut se d�couvrir, s�ouvrir aux autres. Comme
le po�te, accoucher le monde.
A suivre...
Insaisissable, le ton est aussi incantatoire, immodeste, qu�il est
� d�autres moments ironique, enfantin. Le style est aussi
classique qu�il est � des endroits irr�v�rencieux : un point
d�exclamation devant une virgule et le signifi� se donne � lire de
mani�re limpide (� une fois m�me, je chutai !, me relevant
amus� �).
Cette pens�e �gotiste bouscule. Parfois brutalement comme
cette condamnation constante (sauf dans � Exp�rience chaos �)
de ceux qui se laissent emporter par la spirale vis�e plus haut.
Parfois sans m�me tendre la main pour aider � se relever
quand elle semble crucifier l��cole et ses professeurs
(Nietzsche et l'ultra entertainement font difficilement bon
m�nage). Mais n��tait-il pas temps ? L�auteur incite d�abord �
r�fl�chir, � se demander � pourquoi ? � avant de pleurnicher �
comment ? �. Puisse le tome 2 na�tre rapidement pour
prolonger la r�flexion : voil� qui serait un esth�tique pied de nez
� la face du monde.
Olivier Stroh
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